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Anthologie

Les Trois Mousquetaires dans le texte

D’Artagnan

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre I, 1844
Le roman débute avec le portrait du héros, d’Artagnan, parti de sa Gascogne natale pour se faire mousquetaire du roi à Paris. En chemain, il s’arrête dans le bourg de Meung.

Le premier lundi du mois d’avril 1625, le bourg de Meung, où naquit l’auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus faire une seconde Rochelle. Plusieurs bourgeois, voyant s’enfuir les femmes du côté de la Grand-Rue, entendant les enfants crier sur le seuil des portes, se hâtaient d’endosser la cuirasse, et, appuyant leur contenance quelque peu incertaine d’un mousquet ou d’une pertuisane, se dirigeaient vers l’Hôtellerie du Franc-Meunier, devant laquelle s’empressait, en grossissant de minute en minute, un groupe compact, bruyant et plein de curiosité. […]
Arrivé là, chacun put voir et reconnaître la cause de cette humeur.
Un jeune homme… traçons son portrait d’un seul trait de plume : figurez- vous don Quichotte à dix-huit ans ; don Quichotte décorselé, sans haubert et sans cuissards ; don Quichotte revêtu d’un pourpoint de laine dont la couleur bleue s’était transformée en une nuance insaisissable de lie de vin et d’azur céleste. Visage long et brun ; la pommette des joues saillante, signe d’astuce ; les muscles maxillaires énormément développés, indice infaillible auquel on reconnaît le Gascon, même sans béret, et notre jeune homme portait un béret orné d’une espèce de plume ; l’œil ouvert et intelligent ; le nez crochu, mais finement dessiné ; trop grand pour un adolescent, trop petit pour un homme fait, et qu’un œil peu exercé eût pris pour un fils de fermier en voyage, sans la longue épée qui, pendue à un baudrier de peau, battait les mollets de son propriétaire quand il était à pied, et le poil hérissé de sa monture quand il était à cheval.
Car notre jeune homme avait une monture, et cette monture était même si remarquable, qu’elle fut remarquée : c’était un bidet du Béarn, âgé de douze ou quatorze ans, jaune de robe, sans crins à la queue, mais non pas sans javarts aux jambes, et qui, tout en marchant la tête plus bas que les genoux, ce qui rendait inutile l’application de la martingale, faisait encore également ses huit lieues par jour. Malheureusement les qualités de ce cheval étaient si bien cachées sous son poil étrange et son allure incongrue, que dans un temps où tout le monde se connaissait en chevaux, l’apparition du susdit bidet à Meung, où il était entré il y avait un quart d’heure à peu près par la porte de Beaugency, produisit une sensation dont la défaveur rejaillit jusqu’à son cavalier.
Et cette sensation avait été d’autant plus pénible au jeune d’Artagnan (ainsi s’appelait le don Quichotte de cette autre Rossinante), qu’il ne se cachait pas le côté ridicule que lui donnait, si bon cavalier qu’il fût, une pareille monture : aussi avait-il fort soupiré en acceptant le don que lui en avait fait M. d’Artagnan père. Il n’ignorait pas qu’une pareille bête valait au moins vingt livres.

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, Paris, J.-B. Fellens et L.-P. Dufour, 1846, pp. 5-6.

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Rencontre avec des mousquetaires

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre IV, 1844
Arrivé à Paris, d’Artagnan fait la connaissance des mousquetaires du roi. Mais la rencontre avec Athos, Porthos et Aramis ne se fait pas sans heurt…

D’Artagnan, furieux, avait traversé l’antichambre en trois bonds et s’élançait sur l’escalier, dont il comptait descendre les degrés quatre à quatre, lorsque, emporté dans sa course, il alla donner tête baissée dans un mousquetaire qui sortait de chez M. de Tréville par une porte de dégagement, et le heurtant du front à l’épaule, lui fit pousser un cri ou plutôt un hurlement.
 Excusez-moi, dit d’Artagnan essayant de reprendre sa course, excusez-moi, mais je suis pressé.
À peine avait-il descendu le premier escalier, qu’un poignet de fer le saisit par son écharpe et l’arrêta.
 Vous êtes pressé ! s’écria le mousquetaire pâle comme un linceul ; sous ce prétexte, vous me heurtez, vous dites : « Excusez-moi » et vous croyez que cela suffit ? Pas tout à fait, mon jeune homme. Croyez-vous, parce que vous avez entendu M. de Tréville nous parler un peu cavalièrement aujourd’hui, que l’on peut nous traiter comme il nous parle ? Détrompez-vous, compagnon ; vous n’êtes pas M. de Tréville, vous.
 Ma foi, répliqua d’Artagnan, qui reconnut Athos, lequel, après le pansement opéré par le docteur, regagnait son appartement ; ma foi, je ne l’ai pas fait exprès, et, ne l’ayant pas fait exprès, j’ai dit : « Excusez-moi. » Il me semble donc que c’est assez. Je vous répète, cependant, et cette fois c’est trop peut-être, parole d’honneur, je suis pressé, très pressé. Lâchez-moi donc, je vous prie, et laissez-moi aller où j’ai affaire.
 Monsieur, dit Athos en le lâchant, vous n’êtes pas poli. On voit que vous venez de loin.
D’Artagnan avait déjà enjambé trois ou quatre degrés, mais à la remarque d’Athos il s’arrêta court.
 Morbleu, monsieur ! dit-il, de si loin que je vienne, ce n’est pas vous qui me donnerez une leçon de belles manières, je vous préviens.
 Peut-être, dit Athos.
 Ah ! si je n’étais pas si pressé, s’écria d’Artagnan, et si je ne courais pas après quelqu’un…
 Monsieur l’homme pressé, vous me trouverez sans courir, moi, entendez-vous ?
 Et où cela, s’il vous plaît ?
 Près des Carmes-Deschaux.
 À quelle heure ?
 Vers midi.
 Vers midi, c’est bien, j’y serai.
 Tâchez de ne pas me faire attendre, car à midi un quart je vous couperai les oreilles à la course.
 Bon ! lui cria d’Artagnan ; on y sera à midi moins dix minutes.
Et il se mit à courir comme si le diable l’emportait, espérant retrouver encore son inconnu, que son pas tranquille ne devait pas avoir conduit bien loin.
Mais à la porte de la rue causait Porthos avec un soldat aux gardes. Entre les deux causeurs il y avait juste l’espace d’un homme. D’Artagnan crut que cet espace lui suffirait, et il s’élança pour passer comme une flèche entre eux deux. Mais d’Artagnan avait compté sans le vent. Comme il allait passer, le vent s’engouffra dans le long manteau de Porthos, et d’Artagnan vint donner droit dans le manteau. Sans doute Porthos avait des raisons de ne pas abandonner cette partie essentielle de son vêtement, car, au lieu de laisser aller le pan qu’il tenait, il tira à lui, de sorte que d’Artagnan s’enroula dans le velours par un mouvement de rotation qu’explique la résistance de l’obstiné Porthos.
[…]
 Vertubleu ! cria Porthos faisant tous ses efforts pour se débarrasser de d’Artagnan qui lui grouillait dans le dos, vous êtes donc enragé de vous jeter comme cela sur les gens !
 Excusez-moi, dit d’Artagnan reparaissant sous l’épaule du géant, mais je suis très pressé, je cours après quelqu’un et…
 Est-ce que vous oubliez vos yeux quand vous courez, par hasard ? demanda Porthos.
 Non, répondit d’Artagnan piqué, non, et grâce à mes yeux je vois même ce que ne voient pas les autres.
Porthos comprit ou ne comprit pas, toujours est-il que, se laissant aller à sa colère :
 Monsieur, dit-il, vous vous ferez étriller, je vous en préviens, si vous vous frottez ainsi aux mousquetaires.
 Étriller, monsieur ! dit d’Artagnan, le mot est dur.
 C’est celui qui convient à un homme habitué à regarder en face ses ennemis.
 Ah ! pardieu ! je sais bien que vous ne tournez pas le dos aux vôtres, vous.
Et le jeune homme, enchanté de son espièglerie, s’éloigna en riant à gorge déployée.
Porthos écuma de rage et fit un mouvement pour se précipiter sur d’Artagnan.
 Plus tard, plus tard, lui cria celui-ci, quand vous n’aurez plus votre manteau.
 À une heure donc, derrière le Luxembourg.
 Très bien, à une heure, répondit d’Artagnan en tournant l’angle de la rue.

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, Paris, J.-B. Fellens et L.-P. Dufour, 1846, pp. 33-35.

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Porthos invité chez une relation familiale

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre XXXII, 1844
Porthos, fin gourmet mais dont les finances ne lui permettent que des repas d’auberges et de tavernes, est invité à dîner chez sa cousine, épouse de procureur. Alors qu’il s’attend à faire ripaille autour d’un bon festin, le repas se révèle très vite décevant.

Bientôt l’heure du dîner arriva. On passa dans la salle à manger, grande pièce noire qui était située en face de la cuisine.
Les clercs, qui, à ce qu’il paraît, avaient senti dans la maison des parfums inaccoutumés, étaient d’une exactitude militaire, et tenaient en main leurs tabourets, tout prêts qu’ils étaient à s’asseoir. On les voyait d’avance remuer les mâchoires avec des dispositions effrayantes.
« Tudieu ! pensa Porthos en jetant un regard sur les trois affamés, car le saute-ruisseau n’était pas, comme on le pense bien, admis aux honneurs de la table magistrale ; tudieu ! à la place de mon cousin, je ne garderais pas de pareils gourmands. On dirait des naufragés qui n’ont pas mangé depuis six semaines. »
Maître Coquenard entra, poussé sur son fauteuil à roulettes par Mme Coquenard, à qui Porthos, à son tour, vint en aide pour rouler son mari jusqu’à la table. À peine entré, il remua le nez et les mâchoires à l’exemple de ses clercs.
 Oh ! oh ! dit-il, voici un potage qui est engageant.
« Que diable sentent-ils donc d’extraordinaire dans ce potage ? » dit Porthos à l’aspect d’un bouillon pâle, abondant, mais parfaitement aveugle, et sur lequel quelques croûtes nageaient rares comme les îles d’un archipel.
Mme Coquenard sourit, et, sur un signe d’elle, tout le monde s’assit avec empressement.
Maître Coquenard fut le premier servi, puis Porthos ; ensuite Mme Coquenard emplit son assiette, et distribua les croûtes sans bouillon aux clercs impatients.
En ce moment la porte de la salle à manger s’ouvrit d’elle-même en criant, et Porthos, à travers les battants entrebâillés, aperçut le petit clerc, qui, ne pouvant prendre part au festin, mangeait son pain à la double odeur de la cuisine et de la salle à manger.
Après le potage la servante apporta une poule bouillie, magnificence qui fit dilater les paupières des convives, de telle façon qu’elles semblaient prêtes à se fendre.
 On voit que vous aimez votre famille, madame Coquenard, dit le procureur avec un sourire presque tragique ; voilà certes une galanterie que vous faites à votre cousin.
La pauvre poule était maigre et revêtue d’une de ces grosses peaux hérissées que les os ne percent jamais malgré leurs efforts ; il fallait qu’on l’eût cherchée bien longtemps avant de la trouver sur le perchoir où elle s’était retirée pour mourir de vieillesse.
« Diable ! pensa Porthos, voilà qui est fort triste ; je respecte la vieillesse, mais j’en fais peu de cas bouillie ou rôtie. »
Et il regarda à la ronde pour voir si son opinion était partagée ; mais tout au contraire de lui, il ne vit que des yeux flamboyants, qui dévoraient d’avance cette sublime poule, objet de ses mépris.
Mme Coquenard tira le plat à elle, détacha adroitement les deux grandes pattes noires, qu’elle plaça sur l’assiette de son mari ; trancha le cou, qu’elle mit avec la tête à part pour elle-même ; leva l’aile pour Porthos, et remit à la servante, qui venait de l’apporter, l’animal, qui s’en retourna presque intact, et qui avait disparu avant que le mousquetaire eût eu le temps d’examiner les variations que le désappointement amène sur les visages, selon les caractères et les tempéraments de ceux qui l’éprouvent.
Au lieu de poulet, un plat de fèves fit son entrée, plat énorme, dans lequel quelques os de mouton, qu’on eût pu, au premier abord, croire accompagnés de viande, faisaient semblant de se montrer.
Mais les clercs ne furent pas dupes de cette supercherie, et les mines lugubres devinrent des visages résignés.

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, Paris, J.-B. Fellens et L.-P. Dufour, 1846, pp. 270-271.

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L’exécution

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, chapitre LXVI, 1844
À la fin du roman, Milady de Winter est capturée par les mousquetaires qui la condamnent à mort pour tous les crimes qu’elle a commis. Sans autre forme de procès, le jeune femme est conduite sur la rive de la Lys et exécutée par un bourreau, au milieu de la nuit.

Il était minuit à peu près ; la lune, échancrée par sa décroissance et ensanglantée par les dernières traces de l’orage, se levait derrière la petite ville d’Armentières, qui découpait sur sa lueur blafarde la silhouette sombre de ses maisons et le squelette de son haut clocher à jour. En face, la Lys roulait ses eaux pareilles à une rivière d’étain fondu ; tandis que sur l’autre rive on voyait la masse noire des arbres se profiler sur un ciel orageux envahi par de gros nuages cuivrés qui faisaient une espèce de crépuscule au milieu de la nuit. À gauche, s’élevait un vieux moulin abandonné, aux ailes immobiles, dans les ruines duquel une chouette faisait entendre son cri aigu, périodique et monotone. Çà et là dans la plaine, à droite et à gauche du chemin que suivait le lugubre cortège, apparaissaient quelques arbres bas et trapus, qui semblaient des nains difformes accroupis pour guetter les hommes à cette heure sinistre.
De temps en temps un large éclair couvrait l’horizon dans toute sa largeur, serpentait au-dessus de la masse noire des arbres et venait comme un effrayant cimeterre couper le ciel et l’eau en deux parties. Pas un souffle de vent ne glissait dans l’atmosphère alourdie. Un silence de mort écrasait toute la nature, le sol était humide et glissant de la pluie qui venait de tomber, et les herbes ranimées jetaient leur parfum avec plus d’énergie.
Deux valets entraînaient Milady, qu’ils tenaient chacun par un bras ; le bourreau marchait par-derrière, et lord de Winter, d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis marchaient derrière le bourreau. […]
Ces cris [ceux de Milady] avaient quelque chose de si déchirant, que d’Artagnan, qui d’abord était le plus acharné à la poursuite de Milady, se laissa aller sur une souche et pencha la tête, se bouchant les oreilles avec les paumes de ses mains ; et cependant, malgré cela, il l’entendait encore menacer et crier.
D’Artagnan était le plus jeune de tous ces hommes, le cœur lui manqua.
 Oh ! je ne puis voir cet affreux spectacle ! je ne puis consentir à ce que cette femme meure ainsi !
Milady avait entendu ces quelques mots, et elle s’était reprise à une lueur d’espérance.
 D’Artagnan ! d’Artagnan ! cria-t-elle, souviens-toi que je t’ai aimé.
Le jeune homme se leva et fit un pas vers elle.
Mais Athos se leva, tira son épée, se mit sur son chemin.
 Si vous faites un pas de plus, d’Artagnan, dit-il, nous croiserons le fer ensemble.
D’Artagnan tomba à genoux et pria.
 Allons, continua Athos, bourreau, fais ton devoir.
[…]
Alors elle se releva d’elle-même, jeta autour d’elle un de ces regards clairs qui semblaient jaillir d’un œil de flamme.
Elle ne vit rien.
Elle écouta, elle n’entendit rien.
Elle n’avait autour d’elle que des ennemis.
[…]
Le bateau glissait lentement le long de la corde du bac, sous le reflet d’un nuage pâle qui surplombait l’eau en ce moment.
On le vit aborder sur l’autre rive ; les personnages se dessinaient en noir sur l’horizon rougeâtre.
Milady, pendant le trajet, était parvenue à détacher la corde qui liait ses pieds : en arrivant sur le rivage, elle sauta légèrement à terre et prit la fuite.
Mais le sol était humide ; en arrivant au haut du talus, elle glissa et tomba sur ses genoux.
Une idée superstitieuse la frappa sans doute ; elle comprit que le Ciel lui refusait son secours et resta dans l’attitude où elle se trouvait, la tête inclinée et les mains jointes.
Alors on vit, de l’autre rive, le bourreau lever lentement ses deux bras, un rayon de la lune se refléta sur la lame de sa large épée, les deux bras retombèrent ; on entendit le sifflement du cimeterre et le cri de la victime puis une masse tronquée s’affaissa sous le coup.
Alors le bourreau détacha son manteau rouge, l’étendit à terre, y coucha le corps, y jeta la tête, le noua par les quatre coins, le rechargea sur son épaule et remonta dans le bateau.
Arrivé au milieu de la Lys, il arrêta la barque, et suspendant son fardeau au-dessus de la rivière :
 Laissez passer la justice de Dieu ! cria-t-il à haute voix.
Et il laissa tomber le cadavre au plus profond de l’eau, qui se referma sur lui.

Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, Paris, J.-B. Fellens et L.-P. Dufour, 1846, pp. 505-508.

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