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Extrait

« On vous demande en mariage »

Molière, Le Malade imaginaire, acte I, scène 6

ARGAN, ANGÉLIQUE, TOINETTE.

ARGAN se met dans sa chaise
Ô çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu’est-ce que cela ? vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage. Il n’y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah ! nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n’ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier.

ANGÉLIQUE
Je dois faire, mon père, tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

ARGAN
Je suis bien aise d’avoir une fille si obéissante, la chose est donc conclue, et je vous ai promise.

ANGÉLIQUE
C’est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés.

ARGAN
Ma femme, votre belle-mère, avait envie que je vous fisse religieuse, et votre petite sœur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela.

TOINETTE, tout bas
La bonne bête a ses raisons.

ARGAN
Elle ne voulait point consentir à ce mariage, mais je l’ai emporté, et ma parole est donnée.

ANGÉLIQUE
Ah ! mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés.

TOINETTE
En vérité je vous sais bon gré de cela, et voilà l’action la plus sage que vous ayez faite de votre vie.

ARGAN
Je n’ai point encore vu la personne ; mais on m’a dit que j’en serais content, et toi aussi.

ANGÉLIQUE
Assurément, mon père.

ARGAN
Comment l’as-tu vu ?

ANGÉLIQUE
Puisque votre consentement m’autorise à vous pouvoir ouvrir mon cœur, je ne feindrai point de vous dire, que le hasard nous a fait connaître il y a six jours, et que la demande qu’on vous a faite, est un effet de l’inclination, que dès cette première vue nous avons prise l’un pour l’autre.

ARGAN
Ils ne m’ont pas dit cela, mais j’en suis bien aise, et c’est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c’est un grand jeune garçon bien fait.

ANGÉLIQUE
Oui, mon père.

ARGAN
De belle taille.

ANGÉLIQUE
Sans doute.

ARGAN
Agréable de sa personne.

ANGÉLIQUE
Assurément.

ARGAN
De bonne physionomie.

ANGÉLIQUE
Très bonne.

ARGAN
Sage, et bien né.

ANGÉLIQUE
Tout à fait.

ARGAN
Fort honnête.

ANGÉLIQUE
Le plus honnête du monde.

ARGAN
Qui parle bien latin, et grec.

ANGÉLIQUE
C’est ce que je ne sais pas.

ARGAN
Et qui sera reçu médecin dans trois jours.

ANGÉLIQUE
Lui, mon père ?

ARGAN
Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?

ANGÉLIQUE
Non vraiment. Qui vous l’a dit à vous ?

ARGAN
Monsieur Purgon.

ANGÉLIQUE
Est-ce que Monsieur Purgon le connaît ?

ARGAN
La belle demande ; il faut bien qu’il le connaisse, puisque c’est son neveu.

ANGÉLIQUE
Cléante, neveu de Monsieur Purgon ?

ARGAN
Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.

ANGÉLIQUE
Hé, oui.

ARGAN
Hé bien, c’est le neveu de Monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, Monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, Monsieur Purgon, Monsieur Fleurant et moi, et demain ce gendre prétendu doit m’être amené par son père. Qu’est-ce ? Vous voilà toute ébaubie ?

ANGÉLIQUE
C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre.

Molière, Le Malade imaginaire, acte I, scène 6
Molière, Œuvres complètes, vol. VI, Compagnie des libraires associés (Paris), 1773
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