Joseph Conrad

Le 25 juillet 1914, Conrad quitte Londres avec sa femme et ses fils pour leur faire découvrir, le temps de quelques semaines de vacances, la Pologne dont il est originaire. C’est à Cracovie que l’auteur de Lord Jim apprend l’assassinat de l’archiduc à Sarajevo. Les nouvelles se faisant de jour en jour plus inquiétantes, la famille se réfugie en montagne, dans la station de Zakopane. À quelques jours d’un ordre d’arrestation les concernant, ils parviennent malgré tout à regagner l’Angleterre par l’Autriche et l’Italie, grâce à des amis polonais et à des ambassadeurs viennois, plus de trois mois après leur départ.

« Les premiers jours de la troisième semaine de juillet, tandis que bourdonnaient les fils télégraphiques portant les mots lourds de sens qui allaient remplir des livres bleus, des livres jaunes, des livres blancs, et plonger l’humanité dans la stupeur, ces jours, nous les passâmes, le cœur léger, en préparatifs de voyage. Tout ce que nous avions à faire, c’était de foncer à travers l’Allemagne pour arriver le plus vite possible ». « Pour notre petite compagnie, il y avait la terrible souffrance de l’incertitude quant à la véritable nature des événements en cours à l’Ouest. […] Les journaux polonais, naturellement, n’avaient que des sources d’information allemandes. Bien sûr, nous étions loin de croire tout ce que nous lisions, mais il était parfois excessivement difficile de réagir avec la fermeté voulue. Nous condamnions notre porte et, alors, coupés de tout le monde, nous restions à soupeser les nouvelles, à rechercher des divergences, à subodorer des mensonges, à trouver des raisons d’espérer et, d’une façon générale, à nous réconforter mutuellement. Mais ce fut une époque abominable. » Retour en Pologne, 1915. In Œuvres, Paris, Gallimard, 1987 (Bibliothèque de la Pléiade, tome III).