« Pourquoi j’ai fait de mon Jean-Christophe un Allemand »

Ce manuscrit a été en partie publié sous le titre « Les origines germaniques de Jean- Christophe » dans la revue Le Parthénon du 5 novembre 1913, en réponse à un article de G. Pourcel qui, dans un numéro précédent, relevait chez l’auteur « une inclination d’esprit, sympathie marquée pour la patrie de Goethe et de Beethoven, où l’âme, semble-t-il, a plus de profondeur et de gravité » (cité par René Cheval, Romain Rolland, l’Allemagne et la guerre, PUF, 1963, p. 46). Romain Rolland s’est toujours défendu d’éprouver une attirance particulière pour l’Allemagne. Né en 1866, il a grandi dans une France mutilée et n’a cessé de considérer l’annexion de l’Alsace- Lorraine comme une violation du droit des peuples et un obstacle entre les deux pays. Hanté par l’idée d’une guerre entre la France et l’Allemagne, qui serait une catastrophe pour la civilisation européenne, il entreprend avec Jean-Christophe de « montrer aux Allemands qu’un Français peut sentir le meilleur de l’âme germanique et qu’il y a une parenté de cœur entre ces races qui s’évertuent à la renier ». Musicien et rhénan, le personnage de Jean-Christophe reflète ce qui rapprochait Romain Rolland de l’Allemagne, notamment l’amour de la musique – « Le pays de Beethoven et de Jean-Christophe ne sera jamais pour moi un pays étranger » – et l’attrait pour le Rhin – « Le Rhin est une coulée de lumière, qui mûrit les coteaux et les âmes de l’Occident. Elle n’est pas plus à vous, Allemands, qu’elle n’est à nous ; elle est à l’Europe. » De ce roman qui valut à son auteur le prix Nobel de littérature en 1915, Stefan Zweig écrivait dans le Berliner Tageblatt du 22 décembre 1912 : « J’ai le sentiment que votre livre a plus fait pour rapprocher de nous la jeunesse française que tous les diplomates, tous les banquets et toutes les associations. »