Autoportraits















Têtes d'expression et autoportraits affirmés constituent environ dix pour cent de la production gravée de Rembrandt. Ce genre était pratiqué par d'autres peintres du 17e siècle mais aucun ne s'y consacra tout au long de sa carrière comme Rembrandt. L'autoportrait faisait partie de l'enseignement artistique : les études d'expression étaient un exercice indispensable permettant d'acquérir l'expérience des effets des passions sur l'être humain. Mais chez Rembrandt il pouvait se doubler d'une introspection volontaire, un moyen de s'analyser, de se connaître, une affirmation de soi. C'était aussi le désir de se présenter à des amateurs, de les familiariser avec sa personnalité : l'autoportrait comme moyen de communication, de mise en valeur de l'œuvre. Cela lui fut d'autant plus aisé qu'un public amateur de portraits d'artistes s'était développé et les collectionnait. Pour les réaliser, il se regardait dans un miroir. Il se montra très objectif et peu flatteur pour les autoportraits de dimensions réduites, uniques à l'époque, véritables instantanés où il expérimente les déformations du visage et n'hésita pas à accentuer certains de ses traits les moins harmonieux, comme s'il voulait surmonter certaines disgrâces physiques.
Rembrandt au large nez
Il semble que ce soit l'un des tout premiers autoportraits gravés de Rembrandt. Âgé de vingt-deux ans à peine, il regarde le spectateur. Il adopte dès le début certains effets : des tailles d'ombre sur une moitié du visage, une ombre portée dans un angle inférieur de la feuille, réalisée par quelques tailles largement griffonnées pour suggérer l'espace, le blanc du papier pour fond. Ce visage, émouvant par sa vulnérabilité, se situe entre la tête d'expression et l'autoportrait véritable. Rembrandt n'a pas cherché à déformer ses traits par une expression recherchée mais il n'a pas non plus privilégié une apparence en soignant ses vêtements sobrement esquissés qui ne jouent qu'un rôle secondaire, équilibrant l'ombre et la lumière par des dégradés.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt aux cheveux crépus
1er état
La chevelure caractérisant cet autoportrait, l'estampe est aussi intitulée Rembrandt à la chevelure bouclée et au col blanc. L'artiste travaille ici son expression davantage que dans l'eau-forte Rembrandt au large nez et pour cela définit le style qu'il adoptera dans le genre des têtes d'expression : un graphisme libre et des contrastes d'ombre et de lumière sur le visage, dans la chevelure et les vêtements. L'éclairage vient du haut et de la gauche. Toute la partie droite du visage est dans l'ombre, obscurcie par un réseau de tailles croisées qui recouvre même l'oil et qui donne un relief singulier à l'ensemble. L'attention du spectateur est concentrée sur la partie gauche éclairée, révélant ainsi, avec plus d'intensité, l'acuité du regard de Rembrandt très volontaire, plein d'assurance et de satisfaction.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt au bonnet retombant
1er état
1er état
Les bords de la plaque sont irréguliers et rugueux. Au 2e état, l'épaule droite sera ombrée et de profondes tailles diagonales seront ajoutées sur le bonnet, à gauche.
Au 3e état, la planche, réduite, ne mesurera plus que 50 x 42 mm. Au 4e état, l'ombre au-dessus de l'épaule droite sera supprimée. Au 5e état, le contour du col de fourrure, à droite, sera prolongé jusqu'au bord inférieur.
Le visage à l'expression détendue mais au regard concentré dirigé vers le bas est éclairé par une lumière qui vient de la droite. Le bonnet baissé vers le front accentue l'orientation du regard sans que la tête soit penchée. C'est l'une des têtes d'expression où le visage de l'artiste, d'une grande sensibilité, est le plus naturel.
Seul le 1er état a été attribué à Rembrandt par Münz. Les modifications réalisées sur les quatre états suivants seraient dues à Jan van Vliet (vers 1600/1610 - 1668). Elles n'interviennent que sur les vêtements et n'altèrent pas les traits de l'artiste.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt à la bouche ouverte
1er état
Les bords de la planche sont irréguliers et raboteux. Au 2e état, la planche sera réduite, ne mesurant plus que 73 x 62 mm. Une partie du monogramme disparaîtra. Au 3e état, les bords seront polis et la rayure en diagonale dans l'angle supérieur droit effacée au brunissoir.
Épreuve avec un léger effet d'encrage
Dans ce portrait et dans celui intitulé Rembrandt aux yeux hagards, l'artiste aborde l'étude de têtes d'expression. Il déforme volontiers ses traits et poursuit une série d'expériences, utiles pour les thèmes qu'il traitera dans des scènes mythologiques ou religieuses.
Ce visage sous l'emprise d'une vive émotion est déformé par des rides de contrariété, par la bouche ouverte, grimaçante, peut-être pour crier de colère, de souffrance ou d'horreur. L'oil droit du portraituré n'est plus qu'un point noir. Le visage de Rembrandt est moins reconnaissable ici, mais il apparaît comme tout visage sous l'effet d'un choc psychologique ou physique. La tête est légèrement rentrée dans les épaules, attitude instinctive pour se protéger d'une menace. La mise en page et les artifices dont il use sont très proches des autoportraits précédents : ombre portée sur le fond neutre, éclairage sur une moitié du visage, costume sobrement esquissé.
La même année, Rembrandt grava le Gueux assis sur une motte de terre, inspiré sans doute de cette eau-forte. Pour rendre encore plus pathétique le visage du gueux, l'artiste lui fit un front beaucoup plus bas en rabattant les cheveux sur la tête par une coiffe. Le visage du Christ sur la Croix, qui sera une peinture de l'année suivante, n'est pas sans rappeler ces visages.
Bibliothèque nationale de France
Gueux assis sur une motte de terre
État unique
Les différences sur les bords de certaines estampes proviennent des multiples tirages d'un même état. Les bords du coin gauche de la plaque sont irréguliers.
Cette petite estampe représentant un gueux, intitulée parfois Rembrandt en gueux, est très certainement un autoportrait de Rembrandt. L'expression rappelle beaucoup celle de l'Autoportrait à la bouche ouverte, qui date de la même année. Elle est caractéristique de ses débuts en gravure, lorsqu'il explorait les possibilités de l'eau-forte et de la pointe sèche pour s'essayer aux divers tracés ainsi qu'au clair-obscur. Il use de contrastes, se contentant de griffonner les contours de certains espaces non gravés et mettant à profit le blanc du papier ; il juxtapose ainsi des zones très lumineuses et d'autres plus sombres. Il apprend à regarder et à reproduire gestes, attitudes et sentiments en prenant pour modèle son propre visage. Dans ce rôle de gueux, un des nombreux sujets qu'il a gravés à cette époque, il cherche à éveiller la compassion du spectateur par une attitude suppliante. Pour accentuer le caractère infortuné du personnage, il a contrefait le pied gauche et déformé l'un de ses yeux.
Les estampes représentant des gueux étaient fréquentes dans l'art allemand et hollandais du 16e siècle, les plus célèbres étant sans doute celles du graveur lorrain Jacques Callot qui datent des années 1620-1630 et dont on peut apprécier l'influence sur Rembrandt dans des œuvres comme le Gueux à la manière de Callot, la Vieille femme à la calebasse ou encore le Gueux à la jambe de bois. Les représentations de gueux prenaient parfois un ton moralisateur ou satirique. Il est toutefois probable que Rembrandt - conformément à la doctrine luthérienne selon laquelle, comme le Christ, nous sommes tous des mendiants sur cette terre - les traite et les représente avec commisération, tendresse et humanité. Ses gueux, âgés pour la plupart, sont croqués sur le vif et, dans cette estampe, il s'est représenté lui-même, dans une attitude visant à éveiller notre compassion.
Biblioteca Nacional de Madrid
Rembrandt aux yeux hagards
État unique
Épreuve aux bords polis, avec un très léger effet d'encrage.
L'estampe s'intitule aussi Autoportrait aux yeux écarquillés et Rembrandt au bonnet la bouche ouverte, les yeux et la bouche attirant particulièrement l'attention. Rembrandt réalise un gros plan sur son visage qui occupe presque tout l'espace, déborde même du cadre, surgissant devant le spectateur. L'expression de stupeur, d'étonnement feint peut-être, ou de moquerie, est saisissante. Elle est accentuée par la torsion et le rejet de la tête en arrière. De plus, la position en diagonale et l'éclairage dirigé de haut en bas en diagonale également contribuent encore à dynamiser l'ensemble.
Cette étude d'expression devant le miroir est, comme Rembrandt à la bouche ouverte, davantage expérimentale que les autoportraits des débuts. L'artiste s'en inspira pour exécuter la tête du personnage effrayé dans La Résurrection de Lazare, vers 1632.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt aux cheveux hérissés
1er état
Avant la réduction de la planche au 2e état à 64 x 60 mm et avant de nombreux travaux rajoutés du 2e au 6e état. La plaque est retravaillée au 4e état par une autre main sans doute, et les épreuves du 6e état sont très faibles. Cette épreuve de la planche entière est unique. Les deux autres, signalées par White et Boon, sont rognées.
Dans ce 1er état, le visage décentré se détache sur un large espace blanc. La liberté de création de Rembrandt apparaît dans cette mise en page, très audacieuse pour l'époque, dans la hardiesse du traitement de l'espace. Certains historiens ont supposé que l'artiste, après avoir projeté de réaliser un autoportrait en buste, comme il l'avait fait pour Rembrandt au manteau brodé, y avait renoncé, satisfait du visage seul. C'est très probable. Cependant les quelques épreuves imprimées ont dû choquer, puisqu'une seule nous est parvenue entière. Les autres ont été découpées par les amateurs, pour ne conserver que la tête. Et l'artiste fit de même dès le 2e état, découpant la plaque et faisant un gros plan du visage, sans même esquisser un vêtement.
Rembrandt semble maîtriser tout à fait maintenant la représentation de son visage, éclairé depuis la droite. Il n'y a aucune hésitation dans le tracé objectif des traits essentiels, notamment le nez épaté et son ombre portée, la moustache, le pli vertical près du sourcil gauche, les cheveux ondulés et en désordre. La sobriété de la gravure, la légèreté des tailles, le modelé sans contour précis, l'expression de concentration intense situent ce visage entre l'autoportrait et la tête d'expression privilégiée aux états suivants, où des tentatives de changement d'expression seront expérimentés. L'historien Münz pense que seul le 1er état serait de Rembrandt. Il est certain qu'à partir du 4e état, sa manière ne se retrouve pas. C'est l'un des exemples de la fortune critique des cuivres de l'artiste.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt aux cheveux hérissés
4e état
Avant la réduction de la planche au 2e état à 64 x 60 mm et avant de nombreux travaux rajoutés du 2e au 6e état. La plaque est retravaillée au 4e état par une autre main sans doute, et les épreuves du 6e état sont très faibles. Cette épreuve de la planche entière est unique. Les deux autres, signalées par White et Boon, sont rognées.
Dans ce 1er état, le visage décentré se détache sur un large espace blanc. La liberté de création de Rembrandt apparaît dans cette mise en page, très audacieuse pour l'époque, dans la hardiesse du traitement de l'espace. Certains historiens ont supposé que l'artiste, après avoir projeté de réaliser un autoportrait en buste, comme il l'avait fait pour Rembrandt au manteau brodé, y avait renoncé, satisfait du visage seul. C'est très probable. Cependant les quelques épreuves imprimées ont dû choquer, puisqu'une seule nous est parvenue entière. Les autres ont été découpées par les amateurs, pour ne conserver que la tête. Et l'artiste fit de même dès le 2e état, découpant la plaque et faisant un gros plan du visage, sans même esquisser un vêtement.
Rembrandt semble maîtriser tout à fait maintenant la représentation de son visage, éclairé depuis la droite. Il n'y a aucune hésitation dans le tracé objectif des traits essentiels, notamment le nez épaté et son ombre portée, la moustache, le pli vertical près du sourcil gauche, les cheveux ondulés et en désordre. La sobriété de la gravure, la légèreté des tailles, le modelé sans contour précis, l'expression de concentration intense situent ce visage entre l'autoportrait et la tête d'expression privilégiée aux états suivants, où des tentatives de changement d'expression seront expérimentés. L'historien Münz pense que seul le 1er état serait de Rembrandt. Il est certain qu'à partir du 4e état, sa manière ne se retrouve pas. C'est l'un des exemples de la fortune critique des cuivres de l'artiste.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt aux trois moustaches
Comme dans l'Autoportrait aux cheveux hérissés, Rembrandt concentre son attention sur le visage qui se détache au centre de la feuille, encadré par le fond blanc. Contrairement à la plupart de ses petits autoportraits, les deux côtés de la face sont presque symétriques et les rides verticales au-dessus du nez n'apparaissent pas. L'artiste élimine les vêtements et l'ombre portée, mais utilise la longue mèche de cheveux tombant sur son épaule gauche, près de la partie éclairée du visage, pour suggérer la profondeur et le relief et rompre une symétrie trop rigide. Une sérénité empreint son visage, qui regarde de face, affichant un air de satisfaction. Comme dans Rembrandt aux yeux hagards, ses traits sont bien identifiables, sans aucune exagération. Il semble se présenter aux spectateurs, sûr de lui, avenant. Une sanguine très proche de cet autoportrait, bien que l'expression songeuse en soit différente, est conservée à la National Gallery of Art à Washington.
Cette eau-forte est inachevée. En effet la casquette présente à droite une bande qui n'a pas été gravée
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt au chapeau rond et au manteau brodé
8e état
Le manteau est éclairci et un fond est gravé du côté gauche de l'estampe avec des tailles abondantes en diverses directions. L'appui est effacé.
Cet autoportrait gravé de Rembrandt - le premier auquel on puisse appliquer ce terme à proprement parler après les essais d'expression antérieurs - correspond à un prototype de portrait baroque plus proche, peut-être, de l'école flamande que de l'école hollandaise, rappelant ceux que peignaient à cette époque Rubens ou Van Dyck et que Rembrandt connaissait par leurs versions gravées. L'artiste se représente en gentilhomme élégant, enveloppé d'une cape de drap somptueuse, doublée de fourrure, avec une collerette de dentelle et un chapeau au bord relevé qui ombre une partie de son visage. La mine arrogante, une main calée sur la hanche tandis que l'autre, gantée, retient la cape, il fixe le spectateur d'un regard assuré et distant. En 1631, date à laquelle il commença à travailler la planche, Rembrandt avait vingt-cinq ans. Il venait de s'installer à Amsterdam et il travaillait à façonner l'image qu'il voulait donner de lui-même, tout en cherchant à faire connaître ses dons de portraitiste en quête de clientèle. Cet autoportrait, auquel il a probablement travaillé pendant trois ans, était sa meilleure lettre d'introduction.
Le processus d'élaboration de ce portrait a suscité maintes questions parmi les chercheurs. Rembrandt commença par graver la tête sur une planche de plus grande taille que ses portraits antérieurs à l'exception d'un seul. Entre le 1er et le 4e état, il introduisit de petites améliorations dans l'ombre de la partie droite du visage ainsi que dans le chapeau, afin de leur donner plus de relief, mais les changements les plus importants ne se remarquent qu'à partir du 5e état, dans lequel il a gravé le corps. Les épreuves que l'on conserve des états 1 à 4 étant toutes découpées, on ne peut savoir s'il avait gravé sur la planche le monogramme RHL et la date (1631), ou s'il les a ajoutés au 5e état, signifiant ainsi qu'il considérait l'image comme terminée. Quoi qu'il en soit, il la travailla encore pour l'enrichir. Au 6e état, il obscurcit une partie du manteau. Au 7e, il grava le motif du tissu et obscurcit le chapeau afin qu'il s'harmonise mieux avec le manteau. Au 8e, il grava la trame du fond, laissant un halo autour du personnage pour qu'il se détache. Enfin, au 10e état, il exécuta la dentelle de la collerette et il ajouta la signature complète, Rembrandt f., car le monogramme RHL et la date avaient été cachés depuis le 8e état par la trame du fond. De l'étude des filigranes des papiers utilisés on peut déduire que les premiers états datent de 1631 et, sachant que Rembrandt signa de sa signature complète à partir de 1633, on peut en conclure que c'est cette année-là qu'il acheva le travail entrepris en 1631.
Ce portrait donne une impression de mouvement : la tête est tournée vers le spectateur, sans être toutefois totalement de face, alors que le corps, de trois quarts, est puissamment mis en relief grâce aux taches de lumière qui tombent sur des zones déterminées comme les revers de fourrure du manteau, la dentelle des manchettes de la chemise et le halo autour du coude droit. L'inclinaison marquée, la position des épaules et des bras, l'un appuyé sur la hanche, l'autre sur le dossier d'une chaise, forment une série de lignes brisées selon des directions opposées qui donnent à l'ensemble une grâce particulière. Chacune des modifications qu'opère l'artiste au cours des dix premiers états a un sens : quand il assombrit une partie du visage, il lui confère plus de force, afin qu'elle contraste avec l'autre, plus lumineuse. Lorsque, au 7e état, il grave le motif du tissu du manteau, il cherche non seulement à le faire paraître plus somptueux, mais aussi à attirer l'attention du spectateur sur cette zone, jusqu'alors très neutre, et à établir ainsi un contraste entre la qualité du tissu et la fourrure du revers. Au 6e état, il avait essayé un autre effet, consistant à faire briller la fourrure, mais l'avait jugé moins satisfaisant. En obscurcissant le gant, il met davantage en valeur la dentelle du poignet, dont la couleur blanche, obtenue par le brunissage de la planche, crée une puissante source de clarté dans le bas de la composition, neutralisant celle de la collerette, et lorsque, au 10e état, il décide de graver le motif de celle-ci, il parvient à attirer le regard du spectateur sur le visage. Au 8e état, soucieux de donner plus de volume au visage, il l'entoure sur la gauche d'un lacis de lignes qui s'éclaircit de bas en haut, ménageant toujours un halo lumineux.
La puissante source de lumière qui provient de la droite permet de faire jouer les différents tissus et il est très intéressant d'observer la grande variété des tailles dont l'artiste se sert pour représenter la texture du feutre du chapeau, celle de la chevelure en broussaille, de la dentelle de la collerette, du tissu de la cape ou des fourrures. C'est une œuvre qui plaît tout particulièrement aux amateurs d'estampes, une œuvre à travers laquelle Rembrandt montre admirablement sa manière de travailler, très différente de celle des autres artistes. Il a cherché inlassablement la meilleure façon de représenter à travers la gravure les caractéristiques des objets, d'une manière très personnelle, toujours peu conventionnelle, très libre et remarquablement efficace, manière que reconnut, dès 1686, le théoricien italien Baldinucci, qui en fit l'éloge.
On a beaucoup argumenté sur les sources d'inspiration de ce portrait et sur son processus d'exécution depuis que White a publié en 1969 son excellente étude sur l'œuvre gravé de Rembrandt.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt au sabre et à l'aigrette
1er état
La plaque mesure 197 x 162 mm. Rembrandt est vu presque à hauteur des genoux. Le papier de cette épreuve a été teinté après le tirage. Quatre exemplaires seulement sont conservés.
Rembrandt est l'artiste qui s'est le plus souvent représenté sous les accoutrements les plus divers. Dans ses peintures et ses estampes, il peut apparaître en guerrier oriental ou en gueux, en grand seigneur de la Renaissance ou en apôtre, en militaire ou en artiste. Perry Chapman décèle ici l'effort, le désir de construire et de consolider sa personnalité dans un contexte social, religieux, professionnel et économique instable. On s'est demandé si l'œuvre dont il est ici question était bien un autoportrait de Rembrandt, compte tenu de la verrue sur la joue gauche et de la forme différente des yeux, mais elle présente d'autres caractéristiques corroborant cette assertion.
Daté de l'année de son mariage, c'est le premier portrait gravé dans lequel Rembrandt apparaît richement vêtu. Chapman avance l'hypothèse qu'il voulut peut-être s'identifier aux Bataves d'autrefois, dont s'imaginaient descendre les Hollandais, revendiquant fièrement leurs origines après s'être affranchis de la domination espagnole. Selon une autre opinion il n'aurait sans doute pas voulu se représenter comme une figure biblique ou historique, suivant la mode de l'époque, et, même s'il s'est servi de son visage, on ne saurait considérer cette œuvre comme un authentique autoportrait. Toutefois, au cours de cette même année, il peignit son épouse, Saskia, en Artémise, l'année suivante en Judith ; enfin par la suite il la transforma en Flore dans une composition qui, d'une certaine manière, pourrait constituer le pendant de celle-là. Ce portrait gravé est plus proche de l'huile du Metropolitan Museum of Art, où l'artiste représente un personnage oriental la main sur la hanche et coiffé d'un grand turban, et de l'estampe intitulée Le Persan, toutes deux de 1632.
On ne conserve que quatre exemplaires du 1er état de la planche, dans lequel Rembrandt est représenté jusqu'au-dessous de la taille. La tête, très aboutie, est gravée avec un soin exquis. Le sujet ne regarde pas droit devant lui, comme dans la plupart des cas, mais il baisse légèrement les yeux, l'air pensif. Enveloppée d'une grande cape retenue par une chaîne, la figure est imposante, majestueuse ; le gorgerin d'une armure et l'épée lui confèrent un air guerrier.
La planche est gravée de tailles fort énergiques, plus ou moins profondes, afin de retenir plus ou moins d'encre. Sur les traits qui constituent la base de la composition, Rembrandt en a superposé d'autres, plus vigoureux, grâce auxquels, par une seconde morsure à l'acide, il a réussi à donner à l'image beaucoup de relief. D'autre part, la disposition des tailles, les unes parallèles mais irrégulières, les autres s'entrecroisant en angles très nets, toujours dessinées avec une grande liberté, produit une réelle sensation de mouvement. La main gauche, qui repose sur le grand sabre, paraît simplement esquissée mais, dans l'ensemble, le portrait est assez achevé. Plus tard, l'artiste décida de couper la planche et de lui donner la forme ovale qui apparaît dans les épreuves du 2e et 3e état. Il obscurcit beaucoup le manteau qui lui couvre les épaules, insistant sur l'éclat métallique du plastron de l'armure et de la chaîne. L'estampe a la clarté et l'éclat des peintures de Rembrandt à cette époque.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt au sabre et à l'aigrette
3e état
Les oreillettes ayant été supprimées, la plaque a une forme ovale irrégulière. Un état postérieur à Rembrandt, très bien retouché, existe.
Rembrandt est l'artiste qui s'est le plus souvent représenté sous les accoutrements les plus divers. Dans ses peintures et ses estampes, il peut apparaître en guerrier oriental ou en gueux, en grand seigneur de la Renaissance ou en apôtre, en militaire ou en artiste. Perry Chapman décèle ici l'effort, le désir de construire et de consolider sa personnalité dans un contexte social, religieux, professionnel et économique instable. On s'est demandé si l'œuvre dont il est ici question était bien un autoportrait de Rembrandt, compte tenu de la verrue sur la joue gauche et de la forme différente des yeux, mais elle présente d'autres caractéristiques corroborant cette assertion.
Daté de l'année de son mariage, c'est le premier portrait gravé dans lequel Rembrandt apparaît richement vêtu. Chapman avance l'hypothèse qu'il voulut peut-être s'identifier aux Bataves d'autrefois, dont s'imaginaient descendre les Hollandais, revendiquant fièrement leurs origines après s'être affranchis de la domination espagnole. Selon une autre opinion il n'aurait sans doute pas voulu se représenter comme une figure biblique ou historique, suivant la mode de l'époque, et, même s'il s'est servi de son visage, on ne saurait considérer cette œuvre comme un authentique autoportrait. Toutefois, au cours de cette même année, il peignit son épouse, Saskia, en Artémise, l'année suivante en Judith ; enfin par la suite il la transforma en Flore dans une composition qui, d'une certaine manière, pourrait constituer le pendant de celle-là. Ce portrait gravé est plus proche de l'huile du Metropolitan Museum of Art, où l'artiste représente un personnage oriental la main sur la hanche et coiffé d'un grand turban, et de l'estampe intitulée Le Persan, toutes deux de 1632.
On ne conserve que quatre exemplaires du 1er état de la planche, dans lequel Rembrandt est représenté jusqu'au-dessous de la taille. La tête, très aboutie, est gravée avec un soin exquis. Le sujet ne regarde pas droit devant lui, comme dans la plupart des cas, mais il baisse légèrement les yeux, l'air pensif. Enveloppée d'une grande cape retenue par une chaîne, la figure est imposante, majestueuse ; le gorgerin d'une armure et l'épée lui confèrent un air guerrier.
La planche est gravée de tailles fort énergiques, plus ou moins profondes, afin de retenir plus ou moins d'encre. Sur les traits qui constituent la base de la composition, Rembrandt en a superposé d'autres, plus vigoureux, grâce auxquels, par une seconde morsure à l'acide, il a réussi à donner à l'image beaucoup de relief. D'autre part, la disposition des tailles, les unes parallèles mais irrégulières, les autres s'entrecroisant en angles très nets, toujours dessinées avec une grande liberté, produit une réelle sensation de mouvement. La main gauche, qui repose sur le grand sabre, paraît simplement esquissée mais, dans l'ensemble, le portrait est assez achevé. Plus tard, l'artiste décida de couper la planche et de lui donner la forme ovale qui apparaît dans les épreuves du 2e et 3e état. Il obscurcit beaucoup le manteau qui lui couvre les épaules, insistant sur l'éclat métallique du plastron de l'armure et de la chaîne. L'estampe a la clarté et l'éclat des peintures de Rembrandt à cette époque.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt appuyé sur un rebord de pierre
1er état
Épreuve avec retouches à la pierre noire sur le rebord de pierre, qu'il a complété en traçant sur la droite deux pierres qui vont jusqu'au bord du papier ; il a également rajouté un pli au bonnet sur la droite et il a complété le bord inférieur du même côté, le distinguant des cheveux. Il existe d'autres épreuves du 1er état, également retouchées par Rembrandt. Au 2e état, la petite mèche sur le bord inférieur du bonnet sera effacée, laissant place à une ligne continue.
Il s'agit là d'un des meilleurs autoportraits parmi la multitude de ceux que grava Rembrandt. L'artiste est dans une période faste de sa vie. Il est célèbre, riche et heureux. Tout en lui évoque le bien-être, la prospérité et l'élégance. C'est le portrait, à la fois idéaliste et réaliste, d'un artiste en pleine possession de son art et de ses moyens.
Pour cette estampe, il s'inspira de deux portraits réalisés par des géants de la peinture : celui qui passait pour représenter l'Arioste, dû à Titien, auquel il emprunta l'idée de poser le bras sur une balustrade, et celui de l'auteur du très célèbre Livre du courtisan, Baldassare Castiglione, par Raphaël. Rembrandt fit une esquisse à la plume à partir de ce dernier lorsqu'il fut vendu aux enchères en 1639, à Amsterdam, et adjugé pour une somme fabuleuse au Juif portugais Alfonso López, qui possédait déjà le tableau de Titien. Marchand de bijoux et d'œuvres d'art, López s'était converti au christianisme et il était mandataire du roi de France.
Rembrandt fut certainement fasciné par ces deux peintures italiennes, même si, dans son autoportrait gravé, il introduisit des changements qui lui confèrent un caractère propre. Le plus manifeste, par rapport à celui de Titien, est qu'il est inversé et qu'au lieu de regarder le spectateur du coin de l'oil, avec hauteur, le sujet le regarde droit dans les yeux. En outre, il se trouve en plein air, car on aperçoit un peu de végétation le long de la balustrade sur laquelle il prend appui. S'écartant du portrait de Baldassare Castiglione par Raphaël, Rembrandt a placé le corps presque entièrement de profil et le visage de face, faisant ainsi de l'estampe une œuvre plus animée, de style totalement baroque. En modifiant la pose et la forme du couvre-chef, en inclinant le bonnet jusqu'à le rendre presque parallèle au col de la veste, il a fait riper vers la gauche la composition, qui prend une forme triangulaire, différente du rhomboïde de Raphaël. En 1640, l'artiste fit une version à l'huile, inversée, de ce portrait qui, d'une certaine manière ressemble davantage au tableau de Raphaël en ce que le bonnet est placé horizontalement et la chevelure plus courte.
La tenue de Rembrandt, digne d'un grand seigneur de la Renaissance, ainsi que ses sources, ont incité les experts à proposer diverses interprétations de cet autoportrait. Si l'on en croit Ackley et Dickey, il pourrait s'agir de la contribution de Rembrandt au débat concernant les artistes - simples artisans ou authentiques créateurs ? -, dans la même ligne que l'autoportait de Dürer qui est au Prado, à Madrid. Pour De Jongh et Chapman, l'artiste hollandais a voulu avec ce portrait prouver l'égalité, voire la supériorité de son art face à celui des grands maîtres italiens, en se prévalant des trois principes de la doctrine selon laquelle l'imitation de l'œuvre d'un artiste pris comme modèle pouvait être une translatio (imitation libre de son style), une imitatio (imitation dans le même style) ou une æmulatio (imitation améliorée du point de vue du style). Une autre hypothèse due à De Jongh, plus douteuse aux yeux de Pieter van Thiel, est qu'elle représente la position de Rembrandt sur un sujet fréquemment débattu à cette époque, la supériorité de la Peinture ou de la Littérature. L'artiste se serait ainsi comparé à l'un des plus grands poètes de la Renaissance, l'Arioste, sujet supposé du tableau de Titien. Barbara Welzel pense que cet autoportrait n'est pas seulement une représentation personnelle de Rembrandt, mais aussi celle de sa profession et de son identité d'artiste. Martín Royalton-Kisch note enfin que, si la comparaison ne semblait pas anachronique, on pourrait voir là un portrait romantique, en ce sens que Rembrandt donne de lui-même une image de fantaisie avec certaines réminiscences de ses héros de la Renaissance, non seulement les peintres italiens, mais aussi ceux des écoles du Nord, tels que Lucas de Leyde ou Dürer.
Il s'agit là d'une des meilleures pièces du fonds Rembrandt de la Biblioteca Nacional de España ; l'artiste soigna beaucoup le tirage, lavant la planche puis la revernissant de manière que l'estampe offrît de nombreuses nuances. Sur le blanc du papier se détache la figure admirablement gravée par des tailles d'une grande finesse soumises à une seconde morsure, afin d'obtenir des effets d'un noir très intense dans des zones déterminées, telles que les plis ou l'épaule. Comme c'est le cas dans tous les exemplaires que l'on connaît du 1er état de l'œuvre, l'artiste lui-même a indiqué par des traits de crayon son intention de continuer à travailler la planche à droite de la balustrade à laquelle s'appuie le sujet et il a arrondi, au crayon également, le profil trop oblique du bonnet vers la droite, lui ajoutant un pli supplémentaire.
© Biblioteca Nacional de Madrid
L'Artiste dessinant d'après le modèle
2e état
Le fond est travaillé à nouveau et assombri. La structure - voûte, pilier, socle - est moins distincte qu'au 1er état. Le haut du chevalet et la draperie du modèle ont été ombrés par des tailles croisées. La presse posée à droite, devant l'angle inférieur du chevalet, est recouverte de tailles obliques. Le bord du chevalet et le pied sont bien délimités. Un pot est placé sous le petit banc sur lequel est juché le modèle. L'épreuve présente des marques de dépolissures de la plaque, nettement visibles sur la toile du chevalet.
L'artiste s'est représenté assis, environné d'objets insolites, bouclier, épée, bonnet à plumes, carafe, dessinant d'après le modèle dans son atelier, thème fréquent au 17e siècle. Devant lui, une figure féminine vue de dos par le spectateur tient de la main droite une longue palme qui traverse la feuille de bas en haut, et de la main gauche une draperie. De part et d'autre une chaise est esquissée. Au second plan, un chevalet, et un buste de statue sur un socle en partie recouvert d'une draperie orientale, se détachent sur une structure murale composée d'une voûte et d'un pilier, à l'arrière-plan.
Le contraste est saisissant entre le fond terminé où les effets de clair-obscur accrochent les reflets lumineux sur les différents objets et la partie inférieure de l'estampe laissée à l'état d'esquisse, proche d'un dessin au trait sur papier blanc. C'est ainsi que la palme apparaît en blanc sur noir dans le fond obscur et en noir sur blanc dans le bas de l'œuvre. Cette estampe jugée inachevée par plusieurs historiens a donné lieu à bien des commentaires sur la manière de procéder du Maître, et sur les raisons qui l'ont incité à cesser son travail. Il semble que Rembrandt ait esquissé sa composition au trait, apporté des corrections (jambes de la figure allongées, escabelle rabaissée), gravé avec précision le fond et imprimé des épreuves de ce 1er état. Il aurait ensuite modifié quelque peu le fond, le chevalet, la presse, sans travailler la partie inférieure de l'estampe, et imprimé à nouveau sa plaque. L'estampe n'a jamais été achevée ; la plaque de cuivre conservée en témoigne. Est-ce l'insatisfaction qui fut la cause de l'abandon de la plaque ou le décès de l'artiste après une interruption momentanée de ce travail, comme certains l'ont supposé, la datation de l'œuvre, incertaine, variant selon l'analyse stylistique des historiens ? Ce peut être aussi la volonté de Rembrandt. Celui-ci aurait souhaité, dans ce cas, traiter l'allégorie du dessin ou la naissance de la création ou l'élaboration d'une estampe, d'une peinture. La presse pour l'une, le chevalet pour l'autre en constitueraient les étapes ultérieures. Il afficherait ainsi sa position vis-à-vis du dessin, identique à celle des artistes de la Renaissance qui le qualifiaient de « Père de nos trois arts » et adopterait la pratique de l'étude du modèle. La gravure serait alors achevée.
Singulièrement, Rembrandt, qui se représente dessinant d'après un modèle réel, s'inspire étroitement pour la figure féminine d'un nu d'une gravure italienne de Jacopo de Barbari, La Victoire et la Renommée. Pose, visage de profil, palme, draperie, évoquent de très près cette estampe. Ce même nu avait inspiré P. van Harlingen dans une gravure intitulée Pygmalion (H. 21, Fig. 10), thème tiré des Métamorphoses d'Ovide (X, p. 231-232) qui pourrait aussi avoir quelque rapport avec l'estampe de Rembrandt. Mais alors que le sculpteur antique Pygmalion, amoureux de la statue d'ivoire qu'il avait créée, la contemple, Rembrandt, lui, attentif et concentré, est en pleine activité créatrice. L'estampe fut interprétée comme une représentation de Pygmalion jusqu'à la fin du 13e siècle ou comme l'artiste dessinant d'après le modèle. C'est ainsi qu'en 1751 Gersaint écrit : « Dessinateur d'après le modèle. Un sujet qui n'est point achevé. ». Au 20e siècle, F. Saxl a soutenu cette interprétation et J. A. Emmens y a vu une allégorie, un hommage à l'art du dessin.
Un autre sujet a été débattu à propos d'un dessin conservé au British Museum. White et Boon évoquent un dessin préparatoire à la gravure. Or, l'étude attentive de l'œuvre révèle que le dessin n'est pas repassé à la pointe pour être transféré sur le cuivre comme le sont tous les autres dessins préparatoires de Rembrandt. Martin Royalton-Kisch croit plutôt à un dessin intermédiaire réalisé après le 2e état, d'après une contre-épreuve de celui-ci. Il en existe au moins deux et aucune n'a été imprimée d'après le 1er état. Rembrandt aurait alors songé à poursuivre son travail. Un processus semblable se constate pour La Grande Mariée juive, mais dans cet exemple Rembrandt a poursuivi son travail, alors qu'ici il a imprimé sa gravure sans « l'achever », ou encore a considéré qu'elle était terminée. La diffusion de l'estampe témoigne non seulement de la volonté de Rembrandt qui affirmait qu'« une œuvre est achevée quand un artiste a dit ce qu'il avait à dire », mais aussi de l'intérêt des amateurs pour ce sujet ambigu.
Bibliothèque nationale de France
Rembrandt gravant ou dessinant près d'une fenêtre
2e état
La signature et la date sont ajoutées sur une bande de toile en haut de la fenêtre. La main gauche est ombrée et la veste, le fond, la table, et d'autres parties sont gravées au burin pour achever la gravure. Il s'agit de l'état le plus parfait.
Deux épreuves, l'une sur papier européen et l'autre sur papier japon doré.
Réalisé neuf ans après Rembrandt appuyé sur un rebord de pierre, il s'agit là de l'ultime grand autoportrait gravé de Rembrandt. Le contraste entre les deux œuvres est radical. Au lieu de se représenter dans une pose de grand seigneur afin d'impressionner le spectateur, il s'est placé dans son atelier, devant un miroir, en tenue de travail et il a gravé sur le cuivre ce qu'il voyait, de la manière la plus simple et la plus réaliste : un artiste en train de dessiner sur la planche ou sur le papier. Ce portrait permet de pénétrer au plus profond de son être. Son véritable but n'est pas de faire une œuvre d'art à visée commerciale, mais plutôt un exercice de réflexion et d'introspection. Rembrandt s'assied face à un miroir, il scrute son visage, celui d'un homme encore jeune (il est, à l'époque, âgé de quarante-deux ans), mais dont le regard et la bouche sont empreints de tristesse. Du moins apparaît-il ainsi dans les épreuves que l'on conserve du 1er état, car à partir du 2e, l'image est modifiée en vue de sa diffusion. Le portrait n'est plus uniquement destiné à son auteur, il est également pour le public : le regard devient plus intense, la bouche est fermée, volontaire. C'est là un portrait impressionnant par sa sobriété. Seule importe l'expression du visage, reflet sans doute des douloureux changements survenus dans son existence. Saskia est morte, il a un fils en bas âge ; deux autres femmes, Geertje Dirckx et Hendrickje Stoffels, s'occupent de l'enfant et jouent un rôle important dans sa propre vie. Financièrement, il est encore à l'aise, mais l'heure n'est plus au triomphe.
Stephanie S. Dickey établit une relation entre la composition de ce portrait et la représentation usuelle d'un homme d'études (écrivain, humaniste, sage, saint) en train d'écrire ou de lire dans son cabinet de travail, comme l'Érasme de Dürer. Ainsi Rembrandt mettrait en parallèle l'acte de dessiner ou graver et celui d'écrire, activités intellectuelles l'une et l'autre. L'image serait une métaphore visuelle de l'expression ut pictura poesis.
L'analyse des épreuves des différents états permet de suivre pas à pas le travail de Rembrandt sur la planche. Dans les épreuves du 1er état, dont ne sont conservés que de rares exemplaires, on voit comment il a modelé le visage par des tailles si délicates qu'elles sont à peine visibles, suffisantes toutefois pour permettre de jouer avec l'intensité des nuances. C'est aux tonalités et non pas aux lignes que l'on doit ce visage à la peau veloutée, marqué de petits bourrelets qui semblent onduler. La composition générale du portrait montre quatre plans nettement contrastés en fonction de l'intensité de la lumière : la fenêtre, par laquelle pénètre une clarté très vive ; le premier plan de la table sur laquelle est posé le livre qui lui sert de pupitre et la planche sur laquelle il grave, ou le papier sur lequel il dessine, fortement éclairés ; le corps de Rembrandt et, en dernier, le fond très obscur de la pièce, qui crée l'atmosphère et la profondeur. Avec la pointe sèche, il donne du volume aux formes, détachant la figure du fond, et, à l'aide de tailles très audacieuses sur les manches et les épaules, modèle le haut du buste. Dans cette épreuve, on apprécie nettement la différence entre les traits que la morsure de l'eau-forte laisse sur la planche et ceux, plus larges et veloutés, obtenus grâce à l'encre accumulée dans les « barbes » qui se forment par l'attaque directe du métal avec la pointe sèche.
Au 2e état, l'artiste a renforcé l'image entière par de nouvelles tailles. Les différentes techniques qu'il a employées (ajoutant aux précédentes des traits de burin sur le cou et la chemise) sont combinées et entremêlées de façon si experte qu'on a peine à les distinguer les unes des autres, à l'exception des tracés à la pointe sèche, qu'il a brunis avec soin de façon à ne laisser que quelques lignes fines indiquant les plis de sa robe de chambre. En obscurcissant le fond de la pièce, il permet à la figure de mieux se détacher et de gagner en consistance. Le changement le plus évident, en ce qui concerne le visage de Rembrandt, réside dans le regard et dans les lèvres, qu'il serre maintenant avec force, substituant un air plus décidé et plus réfléchi à l'expression de tristesse résignée qui caractérisait le 1er état. Dans l'élaboration de ce 2e état, le vernis qui protégeait la planche a dû se fendiller par endroits et, quand il l'a trempée dans l'acide, celui-ci l'a pénétrée par les fentes, corrodant le métal et produisant de petits traits irréguliers, que l'on aperçoit nettement à l'emplacement, très blanc, de la fenêtre. Il s'agit là du meilleur état de la planche, que Rembrandt signe et date.
Les deux épreuves du 2e état conservées à la Bibliothèque nationale de France, tirées l'une sur papier européen et l'autre sur papier japon, prouvent l'intérêt de Rembrandt pour les divers effets qu'il pouvait obtenir en imprimant la même planche sur des papiers de texture et de couleur différentes. La première accentue la lumière qui entre par la fenêtre, éclairant les mains et le visage de l'artiste, ainsi que l'ouvrage auquel il est occupé ; l'épreuve sur papier japon doré accentue la pénombre qui enveloppe le sujet et, du même coup, l'impression de tristesse. L'état de la planche est le même, et pourtant les deux épreuves paraissent différentes.
Au 3e état, l'artiste a continué de couvrir toute la planche de tailles extrêmement fines, obscurcissant surtout la tête. Bien que la lumière pénétrant par la fenêtre soit la même, on croirait que Rembrandt est plongé dans l'obscurité de la pièce.
Au 4e état, l'artiste a fortement retouché la fenêtre, obscurcissant l'encadrement pour mieux le distinguer de l'extérieur, où apparaît maintenant un paysage gravé - afin de dissimuler les accidents dus aux craquelures du vernis survenues au 2e état. Le paysage, à peine esquissé, adoucit le côté dramatique que conférait à l'estampe la tache de lumière à laquelle il se substitue. L'artiste a modifié le dos du livre, gravant des nerfs sur la reliure. Il a également insisté davantage sur le costume de l'artiste ainsi que sur la feuille (ou la planche) sur laquelle il travaille. La joue droite a perdu de sa rondeur. De plus en plus s'accrédite l'idée que les états postérieurs au 3e ne sont plus de Rembrandt. Au 18e siècle, les nombreux tirages ayant contribué à la détérioration de la planche, Watelet la retoucha soigneusement à l'eau-forte et à la pointe sèche jusqu'à ce qu'elle retrouve, en apparence, la fraîcheur des premiers états. Toutefois, une étude attentive montre que les yeux, trop bien soulignés, sont très différents de ceux gravés par Rembrandt et que la joue droite est moins grasse.
Il s'agit là d'un des meilleurs autoportraits d'artiste jamais gravés. C'est l'exemple même de la gravure atteignant un degré de perfection proche de la peinture, grâce au talent d'un artiste de génie.
Bibliothèque nationale de France
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