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Lautréamont, la fulgurance d’un génie

« Masque » de Lautréamont
« Masque » de Lautréamont

Bibliothèque nationale de France

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Quasi inconnu de son vivant, Lautréamont est entré dans l’histoire littéraire grâce à la célébrité progressivement conquise de ses Chants de Maldoror, notamment auprès des poètes surréalistes après la guerre de 1914-1918. L’audace de son œuvre, qui lui vaut d’être étouffée à sa première parution, fait de lui une figure de l’avant-garde. Le mystère qui entoure sa vie, dont nous ne connaissons que quelques éléments, contribue à forger sa légende.

Enfance sud-américaine

Lautréamont, de son vrai nom Isidore Ducasse, est né le 4 avril 1846 à Montevideo (Uruguay) où ses parents sont arrivés quelques années auparavant, avec le flux de migrants du Sud-Ouest de la France à la recherche d’un avenir meilleur. Sa mère est morte trois semaines après sa naissance, dans des circonstances mystérieuses (certains chercheurs avancent la thèse du suicide). Son père, chancelier à la légation de France, jouissait d’une situation matérielle confortable. Le futur auteur des Chants de Maldoror aura passé la moitié de sa vie dans cette capitale sud-américaine où le français se mélangeait chaque jour à l’espagnol, environnement auquel il doit son probable bilinguisme. Durant l’enfance d’Isidore Ducasse, s’abattent sur Montevideo une guerre civile, un siège et le choléra.

Scolarité en France

La Bourse
La Bourse |

Bibliothèque nationale de France

À treize ans, il traverse l’Atlantique pour faire ses études au lycée de Tarbes : il y fait la connaissance de Georges Dazet, évoqué plus tard sous son vrai nom dans la première version du chant I de Maldoror  le poulpe au regard de soie ») et associé à des scènes à connotation sexuelle explicite qui ont suscité des réactions indignées de la famille du jeune homme. La nature de la relation des deux condisciples reste néanmoins un secret. Isidore Ducasse change de lycée en 1863 pour achever ses études à Pau. Sa scolarité se passe sans éclat particulier : il entre en classe de mathématiques élémentaires, ce qui pourrait expliquer la passion pour les sciences qu’on voit dans Les Chants. Quelques remarques dans son œuvre témoignent de l’ennui qu’il aurait éprouvé pendant ces années. Il revient brièvement à Montevideo en 1867 avant de se rendre à Paris dans les mois qui suivent. Il y arrive avec le rêve de devenir écrivain et s’installe dans le quartier de la Bourse, l’un des plus confortables de la capitale. Sa seule ressource matérielle est la pension que lui verse son père depuis l’Uruguay.

Premières publications

C’est grâce à cette pension qu’il pourra publier ses travaux. Le Chant premier paraît en 1868 à compte d’auteur (et de manière anonyme), avant d’être republié en 1869 à Bordeaux dans un recueil de poésie, Les Parfums de l’âme, dirigé par Évariste Carrance. L’auteur doit beaucoup se démener pour faire lire son œuvre. Il l’envoie notamment à Victor Hugo, dont il reçoit la réponse encourageante mais passe-partout que le vieux poète avait l’habitude d’envoyer à tous ses correspondants (Lautréamont s’en vengera en éreintant Hugo, « le Funèbre-Échalas-Vert », dans ses Poésies deux ans plus tard). À la grande déception du jeune écrivain, la publication de la première partie de son œuvre passe pratiquement inaperçue.

Ne soyez pas sévère pour celui qui ne fait encore qu’essayer sa lyre : elle rend un son si étrange ! Cependant, si vous voulez être impartial, vous reconnaîtrez déjà une empreinte forte, au milieu des imperfections.

Lautréamont, Les Chants de Maldoror, chant premier, 1869

Latréaumont
Latréaumont |

Bibliothèque nationale de France

L’ensemble des Chants paraît en 1869 chez Lacroix, l’un des éditeurs les plus célèbres du Paris de l’époque, sous le nom d’auteur « comte de Lautréamont ». Ce pseudonyme a suscité de nombreuses hypothèses. En 1927, Philippe Soupault formule l’une des plus probables : Isidore Ducasse l’aurait emprunté, après l’avoir légèrement modifié, au personnage éponyme du roman d’Eugène Sue, Latréaumont, paru en 1838. Le goût pour le roman noir, bien attesté dans les Chants, va dans le sens de cette piste. Une autre interprétation évoque un jeu de mots sur « L’autre est à mont ». Cet autre serait le père du poète, resté à Montevideo, qui finance à nouveau la publication et à qui l’auteur aurait voulu éviter la lecture d’un texte capable de le bouleverser.

Censure des Chants

Prendre un pseudonyme aurait pu aussi être le moyen d’éviter des poursuites : l’œuvre est en effet scandaleuse et son éditeur, effrayé par ses audaces, en bloque la diffusion. L’auteur s’adresse alors à Poulet-Malassis : cet éditeur français résidant à Bruxelles (où la justice de Napoléon III ne pouvait pas le poursuivre), et qui a notamment publié Baudelaire, est une grande figure des lettres libres du 19e siècle. Il accepte la demande de Lautréamont et publie plusieurs annonces vantant la qualité de ses Chants. Mais ses éloges restent inutiles puisqu’ils se heurtent à l’interdiction de vente émise par l’éditeur aussi bien en France qu’en Belgique et en Suisse. Le texte complet ne parvient donc jamais au public, du moins du vivant de l’auteur.

Son influence au 19e siècle a été nulle ; mais il est avec Rimbaud, plus que Rimbaud peut-être, le maître des écluses pour la littérature de demain.

André Gide, Préface au « Cas Lautréamont » dans Le Disque vert, n° 4, 1925

Tableau de Frans de Greter
Édition illustrée des Chants de Maldoror |

Bibliothèque nationale de France

Après l’échec des Chants, Ducasse publie encore deux fascicules en prose, intitulés Poésies (1870) qu’il signe de son vrai nom et dans lesquels il prétend suivre une inspiration opposée à celle des Chants ; plus tard, les surréalistes y puiseront certaines de leurs maximes favorites (« La poésie doit être faite par tous », « Les chefs-d’œuvre de la langue française sont les discours de distribution pour les lycées »). La guerre qui éclate juste à ce moment-là explique sans doute que la réception soit de nouveau très faible. Lautréamont n’a pas le temps d’attendre qu’elle s’améliore : il meurt le 24 novembre 1870 dans la ville de Paris assiégée, probablement des suites d’une fièvre. Ses écrits tombent dans l’oubli pendant des années avant d’être connus et célébrés dans les années 1920.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2017).

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