L’Avare

Bibliothèque nationale de France
Gravure d’Edmond Hedouin pour L’Avare, comédie de Molière
« Molière reste moderne de par sa profonde connaissance des êtres. Le plaisir qu’il a et que l’on ressent si fort encore aujourd’hui à dénoncer les failles, les folies, la monstruosité de ses contemporains et qui ne risquent pas d’être jamais démodés ! Harpagon est un monstre, Monsieur Jourdain, un fou, Argan, un hypocondriaque, Orgon, un dévot dont l’excès de croyance conduit toute sa famille au chaos et à la ruine. Les jeunes sont les premiers sacrifiés par la folie des pères et se battent pour leur survie. Dans L’Avare, ils souhaitent la mort du père. La scène entre le père et le fils est terrible et superbe. Si maître Jacques n’entrait pas, le fils pourrait tuer le père. Molière a toujours défendu la jeunesse dans toutes ses œuvres. »
Catherine Hiegel
Bibliothèque nationale de France
« De l’argent ! de l’argent ! de l’argent !
Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent ! »

L’avare et la mort
Un homme d’âge mûr assis devant une table, en épaisse robe de chambre et bonnet fourré, compte des pièces de monnaie s’échappant de sacs d’or, regard tourné vers le spectateur, sans voir la Mort-squelette armée de sa faux, qui, à droite, est venue le chercher. Les mots marqués sur les sacs (« volerie », « pillage », « usure », « fraude », « sang du peuple », etc.) laissent entendre qu’il a acquis malhonnêtement sa richesse et se prépare des tourments en enfer. Les citations bibliques et les vers parsemant l’image rappellent la vanité d’accumuler une telle fortune en oubliant que la mort est proche et peut frapper sans prévenir.
L’avarice est un vice souvent associé à la vieillesse dans les suites de gravures sur les âges de la vie, et la Mort venant se saisir de l’avare est un thème fréquent dans la peinture et la gravure. La Mort peut être musicienne, comme dans une composition du peintre Frans Francken II dans les années 1620 amplement reprise par la gravure jusqu’à la fin du 17e siècle. Elle peut aussi jouer aux dés avec l’avare pour lui rafler ses richesses et sa vie, telle qu’on la retrouve dans une gravure d’un certain Langlois dans la première moitié du 17e siècle, copiée fidèlement par François Guérard à la fin du siècle. La Mort enfin peut agresser hardiment le riche avec son dard, dans une estampe de Jean Humbelot où une vieille femme comptant son or (représentant « l’aage caduc ») se voit assaillie par la Mort armée de sa flèche. L’avare peut ainsi être représentée par une vieille femme, pesant ses pièces sur une balance, comme dans l’estampe en manière noire de Jan Van der Bruggen d’après David Teniers le Jeune et publiée à Paris par Jean Audran, où elle est flanquée de deux diables moqueurs, tandis que la Mort entrouvre une fenêtre haute pour y glisser son sablier inexorable.
Bibliothèque nationale de France
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Molière une fois de plus donne une comédie qui fait de l’humour à partir d’une des préoccupations de son public. Pour ce faire, il place au centre de sa pièce un personnage d’avare, dont le goût pour les espèces sonnantes et trébuchantes se heurte aux habitudes dépensières de ses enfants. Harpagon, d’un côté, s’efforce par tous les moyens d’obtenir et d’accumuler cet argent qu’il aime tant, jusqu’à se compromettre en prêtant des sommes à des taux usuraires et, d’un autre côté, il s’ingénie à dépenser le moins possible, au détriment de son entourage et de son ménage. Mais surtout il détient un trésor caché, dont la disparition permettra le dénouement de la pièce.
Une commedia dell’arte à la française
L'Avare, de Molière, acte IV, scène 7
Les vertus de la prose

Costume de Grand-Ménil dans le rôle d'Harpagon
Grand-Ménil a marqué la Comédie-Française par son interprétation d’Harpagon en jouant de sa haute taille et de sa maigreur et par son sens des mimiques.
Bibliothèque nationale de France
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Un maelström émotionnel
C’est bien ce qui fait la magie de la pièce et qui a assuré son succès continu auprès de publics d’époque et de culture différentes. L’Avare ne laisse aucun répit au spectateur, du dialogue amoureux virtuose qui constitue la scène d’ouverture aux rebondissements échevelés qui marquent le dénouement, en passant par les moments de suspense ou d’effroi, les coups de théâtre, les émotions diverses que provoquent avec une fréquence soutenue les conflits de valeurs autour de la libéralité, de l’honneur, de la justice, de la loyauté. Séquence mettant la jeune fille au pouvoir d’un vieillard repoussant, propos sur le fonctionnement de la flatterie, marchandisation du mariage (« sans dot » !) : la comédie n’hésite pas à provoquer également le sentiment moral.

L'Avare
Cléante : « Comment, mon père ! C'est vous qui vous portez à ces honteuses actions ? »
L’Avare, acte II, scène 2
Molière a fait des défauts des humains la matière de son œuvre, mais il est encore plus fasciné par leurs travers qui sont poussés jusqu’à la folie. Chez les hommes, l’excès apparait sous un jour dangereux qui menace l’équilibre de leur entourage, qu’il s’agisse de l’avarice maladive d’Harpagon, de l’ambition démesurée de monsieur Jourdain ou de l’hypocondrie désarmante d’Argan. Avec eux, le jeu des apparences n’est plus du côté de la noire hypocrisie et du mensonge mais il fait basculer le théâtre dans un imaginaire échevelé. Les fous entrainent à leur suite les autres personnages, et les spectateurs, dans leur monde merveilleux.
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Le rire, par-dessous tout

Représentation de L'Avare, de Molière, dans une mise en scène de Arvi Kivimaa, 1955
Quatre siècles plus tard, Molière nous apparait comme un auteur universel. La diffusion de son œuvre dans le monde en témoigne. La diversité des approches intellectuelles et artistiques qui émergent des mises en scène de ses pièces montrent la plasticité de l’œuvre. Universel, Molière l’est avant tout par les sujets qu’il aborde : les conflits familiaux, l’éducation, la folie, la séduction, la manipulation et les travers humains comme l’hypocrisie, l’avarice, la vanité, la crédulité… Les personnages dont il dresse le portrait et qu’il met en situation dans ses pièces, par la sincérité de leur nature et la justesse de leur rapport, dépassent le cadre historique et sont chargés d’une humanité en laquelle peuvent se reconnaitre des générations de spectateurs.
Photo © Roger Pic / Bibliothèque nationale de France
Photo © Roger Pic / Bibliothèque nationale de France
Car, en dépit de ses apparences trompeuses de comédie de caractère, L’Avare ne vise pas à proposer la peinture d’un vice, mais à provoquer l’hilarité par tous les moyens : quiproquos, malentendus, coups et culbutes, clins d’œil aux réalités familières du public, jeux d’ironie ou d’exagération, parodie des modes vestimentaires et des habitudes alimentaires, grivoiseries. En déployant la palette de tous les procédés dont il a acquis la maîtrise, Molière réalise un chef d’œuvre de l’humour français du 17e siècle.
Provenance
Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière, le jeu du vrai et du faux, présentée à la BnF du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.
Lien permanent
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