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Les textes illustrés dans la peinture persane
 

Combat de lutteurs
Combat de lutteurs

© Bibliothèque nationale de France

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Dans le monde iranien, la peinture s'épanouit avant tout dans les livres. Elle est de ce fait intimement liée aux textes qu'elle accompagne : épopées, récits historiques, poésie lyrique, ouvrages scientifiques font ainsi l'objet de nombreuses illustrations.
 

Dans le monde persan, certains genres littéraires donnent plus volontiers lieu à la réalisation de volumes plus soigneusement ornés et illustrés. L'épopée nationale iranienne, en premier lieu, a fourni aux peintres une infinité de sujets : scènes de fêtes, de chasses ou de batailles. Le roman en vers, dominé par la figure de Nezâmî, ajoute à ces scènes de nombreux épisodes liés aux récits amoureux célèbres. Les recueils de poésie lyrique, qui inspirent aux calligraphes et aux enlumineurs d'innombrables chefs-d'œuvre, sont parfois également illustrés. Les chroniques historiques sont, dans certaines copies princières, accompagnées d'illustrations liées au texte. Les scènes les plus célèbres des histoires des prophètes sont très volontiers représentées et nourrissent l'imagination du lecteur. Une place à part doit être réservée à l'illustration du livre scientifique où le peintre hésite souvent entre des images de caractère documentaire et une peinture purement récréative.

Ferdowsi et l'épopée nationale iranienne

Le Livre des rois
Le Livre des rois |

Bibliothèque nationale de France

L’âme persane vibre aux accents de l’épopée nationale iranienne ; toutes les classes de la société se retrouvent dans les figures des héros du Livre des rois composé par Ferdowsi à la fin du Xe siècle. C’est un texte qui a été copié un très grand nombre de fois et les souverains en ont volontiers fait réaliser des copies illustrées pour leurs bibliothèques. Comptant dans certains manuscrits jusqu’à 60 000 distiques, cette œuvre relate l’histoire de l’Iran depuis les origines du monde jusqu’à la conquête arabe au 7e siècle.

Le poète Ferdowsi (v. 940-1020) a consacré plus de trente ans à la rédaction de son Livre des rois. Vers 976, le projet d’une telle chronique avait déjà été envisagé par le poète Daqiqi, mais celui-ci était mort avant d’avoir pu le mener à bien. Ferdowsi, âgé d’une quarantaine d’années, consulte divers ouvrages, dont la documentation amassée par son prédécesseur, et s’attelle à la tâche. L’épopée est terminée en 1010. Conformément à l’usage de l’époque, Ferdowsi la dédie au souverain ; mais le sultan d’alors, Mahmoud, est turc, donc peu intéressé par l’histoire de l’Iran ; de plus, il est sunnite et n’apprécie guère ce solliciteur qui fait l’éloge du zoroastrisme. Très chichement rémunéré, Ferdowsi regagne Tous, sa ville natale, où il compose contre Mahmoud une satire virulente.

Troisième des sept exploits du héros iranien Rostam combattant un dragon redoutable
Troisième des sept exploits du héros iranien Rostam combattant un dragon redoutable |

Bibliothèque nationale de France

Troisième exploit de Rostam : il tue le dragon

« à moi seul, je suis une armée qui cherche le combat,
Monté sur le fougueux Rakhch, je foule la terre. »
Il dit et le dragon se jeta sur lui pour le combattre
mais n’eut point le dessus à la fin,
Il avait pourtant fondu si brutalement sur le preux
qu’on aurait cru qu’il allait briser Rostam.
Quand Rakhch avait vu la force qui émanait du corps du dragon
alors qu’il fondait sur le héros faiseur de rois
Il coucha ses oreilles et parvint — ô merveille —
à déchirer de ses dents les épaules du dragon
Tel un lion, il mit sa peau en lambeaux ;
le preux en demeura saisi d’étonnement
Du coup, de son épée, il décapita la bête
et, tel un torrent, le sang jaillit de son sein […].

Le héros Farâmarz met en déroute le roi de Kaboul
Le héros Farâmarz met en déroute le roi de Kaboul |

© Louvre
 

Le héros Farâmarz met en déroute le roi de Kaboul

Farâmarz, ayant accompli le deuil de son père, fit sortir une armée dans la plaine […]. Le roi de Kaboul eut des nouvelles de l’approche des troupes du Zaboulistan, et rassembla son armée dispersée ; la terre se couvrit de fer, et l’air s’assombrit. Farâmarz et ses troupes s’avancèrent, le soleil et la lune pâlirent et, quand les deux armées furent en présence, le monde se remplit de bruits guerriers ; la masse des chevaux et la poussière noire qu’ils soulevaient étaient telles que les lions s’égaraient dans la forêt ; un grand vent amena des nuages sombres, et l’on ne distinguait plus le ciel de la terre.

Histoire religieuse et profane

Les histoires des Prophètes

Belqis, la reine de Saba, entourée de femmes et d'anges ; Le roi Salomon trônant, entouré de toutes les créatures.
Belqis, la reine de Saba, entourée de femmes et d'anges ; Le roi Salomon trônant, entouré de toutes les créatures. |

Bibliothèque nationale de France

À côté d’une poésie évoquant des thèmes religieux ou les exploits des saints de l’islam, une littérature en prose très importante concerne les histoires des Prophètes. Elle évoque très volontiers la figure de Joseph, fils de Jacob.

Histoires du Coran ou Histoires des prophètes et des rois du passé
Histoires du Coran ou Histoires des prophètes et des rois du passé |

Bibliothèque nationale de France

Le bâton de Moïse changé en dragon

L’ordre vint, qui disait : « ' Moïse, n’aie nulle crainte car ton bras sera plus fort que le leur ! » […] Une voix lui parvint : « Jette ce que tu tiens dans ta main ! » et Moïse jeta son bâton, qui tomba à terre, et il apparut un dragon très grand qui fit rouler sa queue.

Les chroniques historiques

Les Safavides affrontent violemment les Ouzbeks au Khorâssân en 1510
Les Safavides affrontent violemment les Ouzbeks au Khorâssân en 1510 |

Bibliothèque nationale de France

À partir du 13e siècle, l’avènement des dynasties mongoles s’accompagne de la multiplication des chroniques historiques en langue persane. Elles sont le plus souvent rédigées par des auteurs occupant un rôle politique important, tel Djoveyni au 13e siècle (Histoire de la conquête du monde). À Tabriz, au siècle suivant, c’est au puissant vizir Rachid al-D'in que l’on doit la Somme des histoires (voir p. 4) ; évoquant les exploits de Gengis Khân et des divers princes mongols, l’ouvrage contient une histoire universelle compilée d’après des sources tant latines que chinoises, indiennes ou arabes.

Le Livre de Timour
Le Livre de Timour |

Bibliothèque nationale de France

Tamerlan en route vers le Caucase en 1396

Ceux qui fuyaient devant lui, avec de mauvaises intentions, dès qu’ils entendirent parler de son arrivée,
Ne suscitèrent nul trouble à la porte de la ville.
Et lorsque, à Tabriz, la monnaie d’or se substitua à la drachme d’argent,
On considéra avec respect les pièces d’argent frappées à son noble nom.
Il fit armer un navire sur les flots de l’Araxe,
Et l’Araxe fut saturé du flot de ses armées.
Dans ce district aussi ils montrèrent la force de leurs bras,
Et il fit baisser la tête aux insurgés […].

Le siège de la forteresse d'Alamout
Le siège de la forteresse d'Alamout |

Bibliothèque nationale de France

Le siège d’Alamout en 1256

Les gens du château […], comme ils s’étaient préparés à un massacre nocturne et avaient placé des soldats sur les tours de cette forteresse haute comme le ciel, commencèrent à riposter. Les catapultes se mirent à envoyer leurs projectiles ; les pierres pleuvaient […]. Malgré ces jets de pierres et de flèches, ils ne détournaient pas la tête […].

Le siège de Bagdad par les armées mongoles de l'Il-Khân Hülegü en 1258
Le siège de Bagdad par les armées mongoles de l'Il-Khân Hülegü en 1258

Les Mongols assiègent Bagdad en 1258

Comme il est heureux le climat de la ville de Bagdad ; ce lieu fertile et prospère est un rival du jardin du paradis […] ; les créatures aux yeux noirs de Bagdad sont célèbres, toutes ont lèvres de sucre et douce parole. La ville est bâtie de tous côtés haute comme l’éternité, c’est une plaisante étape et un séjour plein de félicité.

La littérature amoureuse

Le roman en vers : l'exemple de Mehr et Mochtari

Le roman d’amour, déjà apprécié dans la Perse préislamique, est devenu l’un des genres favoris des poètes dès le XIe siècle.

Construit sur le modèle du Khosrow et Chîrîn de Nezâmî, le Roman de Mehr et Mochtari, achevé en 1376, compte 5120 distiques et relate l’histoire de deux amis, Mehr, fils du roi d’Estakhr, et Mochtari, le fils du vizir de celui-ci. Ils sont séparés par diverses aventures avant que Mehr, après son mariage avec la princesse Nâhid, ne retrouve Mochtari.

La visite à l’ermite
La visite à l’ermite |

Bibliothèque nationale de France

La visite à l’ermite

Ils virent sur les pentes de ces montagnes un vieillard vivant en ermite, mais accueillant […].
À la façon des derviches, il était clairvoyant dans ses conseils, érudit avéré en science théologique […].
Devant le vieillard, les deux agiles jeunes gens se jetèrent à terre et s’agenouillèrent sur le sol.
L’un d’eux baisa la manche de sa robe, l’autre tomba à ses pieds, touchant le bas de son vêtement.

La chasse dans les monts Alborz
La chasse dans les monts Alborz |

Bibliothèque nationale de France

La chasse dans les monts Alborz

Les sangliers fuyaient sur [les] pentes [du mont Alborz],
Les léopards s’étaient mis à galoper sur ses cimes,
On voyait le lion furieux sortir des fourrés,
Le serpent venimeux se cachait dans les cavernes,
D’un côté les divs mâles hurlaient,
De l’autre côté les goules poussaient des cris […].
Tantôt ils poussaient leurs chevaux vers des êtres
à oreilles d’éléphant,
Tantôt décapitaient les monstres aux pieds flexibles.
Ils allaient à l’aventure dans cette montagne,
Le cœur joyeux, l’âme en éveil.

La poésie lyrique

Le tavernier lit l’avenir dans la coupe de Djamchid
Le tavernier lit l’avenir dans la coupe de Djamchid

La poésie persane, à ses débuts, s’inspire des modèles arabes tout en gardant de profondes attaches avec la littérature de l’Iran préislamique (notamment pehlvie et parthe). Les premiers vers en persan sont composés dans les cours orientales du Khorâssân et de Transoxiane, mais dès le 10e siècle, à l’ouest, de nouveaux centres littéraires attirent poètes et écrivains. Dès le début du 12e siècle, les recueils de poèmes (divâns) contiennent généralement un grand nombre de ghazals, courts poèmes de même structure et de même rime qui constituent la forme la plus courante du lyrisme amoureux. Hâfez, poète de Chirâz, compose à la fin du 14e siècle des ghazals dont la fortune sera immense. Profondément pessimiste, il y chante les tourments de l’âme humaine et d’un amour qui peut être tour à tour interprété comme l’amour divin ou comme la passion amoureuse.

Jeune femme s'appuyant sur un arbre et son enfant. Jeune femme en compagnie d'un musicien
Jeune femme s'appuyant sur un arbre et son enfant. Jeune femme en compagnie d'un musicien |

Bibliothèque nationale de France

Une anthologie poétique persane illustrée par Behzâd
Une anthologie poétique persane illustrée par Behzâd |

Bibliothèque nationale de France

Fables et apologues : le livre de Kalila et Dimna

Le recours à des personnages animaux pour illustrer des maximes ou des conseils moraux, en vue de l’éducation des princes, est un genre très ancien. En Orient, il est représenté principalement par Le Livre de Kalila et Dimna, version persane des fables indiennes de Bidpay. Un premier texte en sanscrit (le Pantchatantra) fut traduit au VIe siècle en pehlvi, traduction qui servit de base au texte arabe élaboré par Ibn al-Muqaffa’ deux siècles plus tard. Cette version connut une immense fortune et fut à son tour adaptée en de multiples langues, dont bien sûr le persan (au 12e siècle).

Homme tombant dans un puits pour échapper à un chameau furieux
Homme tombant dans un puits pour échapper à un chameau furieux |

Bibliothèque nationale de France

 

Une copie princière de 1467

Aux prises avec cette souffrance, [il] réfléchissait à une solution et cherchait une voie pour s’enfuir. Il vit une ruche et trouva un peu de miel ; il en porta un peu à ses lèvres et se trouva envoûté par cette saveur sucrée de telle façon qu’il ne fit plus attention à son affaire. Il ne pensa plus que ses pieds reposaient sur la tête de quatre serpents et qu’il ne pouvait deviner quand ils allaient bouger, et que les rats faisaient grand effort pour ronger le pied de l’arbre.

L'ermite aperçoit le renard interrompant le combat des deux bouquetins
 
L'ermite aperçoit le renard interrompant le combat des deux bouquetins
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Bibliothèque nationale de France

Kalila et Dimna conversant
Kalila et Dimna conversant |

© Bibliothèque nationale de France

Une copie princière de 1392

Kalila répondit : « Il t’est arrivé ce qui est arrivé à cet homme juste ! » Dimna demanda : « Que se passa-t-il donc ? » Il répondit : « On rapporte qu’un roi avait donné à un ermite une robe éclatante. Un jour, quelqu’un la vit et la convoita. Sous prétexte d’affection, il s’approcha du saint homme, lui disant : « Je souhaite bénéficier de ta conversation pour apprendre de toi les belles-lettres et la voie mystique. » Il devint de la sorte le familier de l’ermite et vécut auprès de lui dans de bonnes dispositions, jusqu’à ce qu’il eût trouvé l’occasion de dérober le vêtement. Quand l’ermite ne vit plus sa robe, il sut que c’était lui qui l’avait emportée. Il allait vers la ville à sa recherche lorsque, en chemin, il se trouva rencontrer deux animaux qui se battaient. Ils s’étaient mutuellement blessés à la tête, et leur sang coulait. Un renard était venu et s’était jeté dessus avec avidité. Tous deux frappèrent d’un coup de tête soudain le renard, et il fut tué. L’ermite se remit alors en route. »

La littérature scientifique

Dès le 10e siècle, les émirs bouyides s’étaient attachés à rassembler dans leurs capitales un grand nombre de savants. Les invasions mongoles n’ont pas interrompu ces activités, notamment en astronomie : en 1259, Hülegü fait édifier près de Tabriz un gigantesque observatoire, et une semblable entreprise est menée à Samarqand au 15e siècle par le petit-fils de Tamerlan, Ologh Bêg, passionné d’astronomie. Mais dans le domaine des sciences, à l’exception de la médecine où le persan est employé très tôt, la plupart des ouvrages sont traduits ou rédigés en arabe, considéré alors comme la langue scientifique par excellence. Seuls les ouvrages arabes les plus importants ont donné lieu à des traductions persanes de vulgarisation.

Pégase
Pégase |

Bibliothèque nationale de France

Planche anatomique
Planche anatomique
 

Provenance

Cet article provient du site Splendeurs persanes, 1999.­­

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