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Extrait

Le souffle vital comme mutation

Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise

Le souffle est un, mais pas d’une unité compacte, statique et figée. Vital, il est au contraire en circulation permanente, il est par essence mutation. C’est là une intuition originelle et originale de la pensée chinoise. Si Confucius affirme d’emblée la loi du temps en distinguant les différents âges de la vie, il ne s’agit pas d’une temporalité subie, mais au contraire pleinement vécue et assumée dans toutes les étapes de sa mutation qui débouche sur une forme de « liberté », non pas au sens de l’exercice d’un libre arbitre mais d’un accord parfait avec l’ordre des choses. L’une des intuitions centrales du Laozi (plus connu sous le titre de Tao-te-king), c’est que toute chose s’accomplit dans le retour qui est « le mouvement même du Dao », c’est-à-dire de la vie. Retour au Vide originel, à comprendre non pas comme point d’anéantissement mais comme synonyme de vivant et de constant. Vivant parce que le Vide, plutôt qu’un lieu où se résorbent les êtres, est ce par quoi le souffle jaillit et rejaillit. Constant parce que le Vide est ce qui permet la mutation tout en étant lui-même ce qui ne change pas. Dans la tradition interprétative du fameux Livre des Mutations (Yijing, communément transcrit Yi King), les élaborations des confucéens et des taoïstes convergent dans une même intuition du souffle vital comme mutation, les premiers la comprenant en termes de « vie qui engendre la vie sans trêve » et les seconds en termes de Vide qui, étant par excellence virtualité, est paradoxalement la racine de la vie, alors que toute chose arrivée au « plein » se durcit et dépérit.

Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, collection « Points Essais », éditions du Seuil, 2002. 
Avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur

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