Découvrir, comprendre, créer, partager

Extrait

Les Eaux étroites

Julien Gracq, Les Eaux étroites, Éditions José Corti, 1976
Dans Les Eaux étroites, au fil d’une promenade en barque sur l’Èvre, un affluent de la Loire, Julien Gracq retrouve et déchiffre les enchantements et sensations de son enfance.

Les images que déroule tout voyage initiatique renvoie chacune en énigme à une rencontre préfigurée qu'elles font pressentir et qui les achèvera ; la puissance d'envoûtement des excursions magiques, comme l'a été pour moi celle de l'Evre, tire sa force de ce qu'elles sont toutes à leur manière des « chemins de la vie », qu'elles en figurent obscurément à l'avance les climats et les étapes.

On s’abandonne les yeux fermés à l’eau qui, inépuisablement, ouvre les chemins ; nulle excursion n’est plus envoûtante que celle où le bien-être inhérent à tout voyage au fil de l’eau se double de la sécurité magique qui s’attache au fil d’Ariane. Ainsi, pendant de longues minutes, la barque progresse dans le silence glauque ; en même temps que le soleil, les falaises arrêtent jusqu’au moindre souffle d’air. Au milieu de l’excursion de l’Èvre, ces moments de silence, dans ma mémoire, viennent se poser, comme un long point d’orgue ; ce silence, un doigt sur les lèvres, debout et immobile, et matérialisé à demi au creux de ces étroits pleins de présences païennes, c’est vraiment le « génie du lieu » qui l’impose.

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmrvx420kfxnd