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Extrait

La cellule de Claude Frollo
Livre VII, Chapitre IV

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1832.
Texte intégral : Ollendorff, Paris, 1904-1924
La description de la cellule faustienne de Claude Frollo dans la tour de Notre-Dame, au cœur du roman, est restée célèbre. La devise qui termine cet extrait signifie : « Souffle, espère », double injonction à l’intention des chercheurs de pierre philosophale.

Le lecteur n’est pas sans avoir feuilleté l’œuvre admirable de Rembrandt, ce Shakespeare de la peinture. Parmi tant de merveilleuses gravures, il y a en particulier une eau-forte qui représente, à ce qu’on, suppose, le docteur Faust, et qu’il est impossible de contempler sans éblouissement. C’est une sombre cellule. Au milieu est une table chargée d’objets hideux, têtes de mort, sphères, alambics, compas, parchemins hiéroglyphiques. Le docteur est devant cette table, vêtu de sa grosse houppelande et coiffé jusqu’aux sourcils de son bonnet fourré. On ne le voit qu’à mi-corps. Il est à demi levé de son immense fauteuil, ses poings crispés s’appuient sur la table, et il considère avec curiosité et terreur un grand cercle lumineux formé de lettres magiques, qui brille sur le mur du fond comme le spectre solaire dans la chambre noire. Ce soleil cabalistique semble trembler à l’œil et remplit la blafarde cellule de son rayonnement mystérieux. C’est horrible et c’est beau.
Quelque chose d’assez semblable à la cellule de Faust s’offrit à la vue de Jehan, quand il eut hasardé sa tête par la porte entrebâillée. C’était de même un réduit sombre et à peine éclairé. Il y avait aussi un grand fauteuil et une grande table, des compas, des alambics, des squelettes d’animaux pendus au plafond, une sphère roulant sur le pavé, des hippocéphales pêle-mêle avec des bocaux où tremblaient des feuilles d’or, des têtes de mort posées sur des vélins bigarrés de figures et de caractères, de gros manuscrits empilés tout ouverts sans pitié pour les angles cassants du parchemin, enfin, toutes les ordures de la science, et partout, sur ce fouillis, de la poussière et des toiles d’araignée ; mais il n’y avait point de cercles de lettres lumineuses, point de docteur en extase contemplant la flamboyante vision comme l’aigle regarde son soleil.
Pourtant la cellule n’était point déserte. Un homme était assis dans le fauteuil et courbé sur la table. Jehan, auquel il tournait le dos, ne pouvait voir que ses épaules et le derrière de son crâne ; mais il n’eut pas de peine à reconnaître cette tête chauve à laquelle la nature avait fait une tonsure éternelle, comme si elle avait voulu marquer, par ce symbole extérieur, l’irrésistible vocation cléricale de l’archidiacre.
Jehan reconnut donc son frère. Mais la porte s’était ouverte si doucement que rien n’avait averti dom Claude de sa présence. Le curieux écolier en profita pour examiner quelques instants à loisir la cellule. Un large fourneau, qu’il n’avait pas remarqué au premier abord, était à gauche du fauteuil, au-dessous de la lucarne. Le rayon du jour qui pénétrait par cette ouverture traversait une ronde toile d’araignée, qui inscrivait avec goût sa rosace délicate dans l’ogive de la lucarne, et au centre de laquelle l’insecte architecte se tenait immobile comme le moyeu de cette roue de dentelle. Sur le fourneau étaient accumulés en désordre toutes sortes de vases, des fioles de grès, des cornues de verre, des matras de charbon. Jehan observa en soupirant qu’il n’y avait pas un poêlon. « Elle est fraîche, la batterie de cuisine ! » pensa-t-il.
Du reste, il n’y avait pas de feu dans le fourneau, et il paraissait même qu’on n’en avait pas allumé depuis longtemps. Un masque de verre, que Jehan remarqua parmi les ustensiles d’alchimie, et qui servait sans doute à préserver le visage de l’archidiacre lorsqu’il élaborait quelque substance redoutable, était dans un coin, couvert de poussière, et comme oublié. À côté gisait un soufflet non moins poudreux, et dont la feuille supérieure portait cette légende incrustée en lettres de cuivre : SPIRA, SPERA.

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