Qui a créé le Créateur ?
En ces temps-là, les eaux enveloppaient la Terre,
À peine, çà et là, quelque roc solitaire
Dressait sur l’horizon sa tête de granit.
Son pied ne baignait point dans un lit d’algues vertes ;
Du levant au couchant les mers étaient désertes ;
Nul oiseau n’eût trouvé de quoi se faire un nid.
Nulle voix, nul appel, nul cri d’homme ou de bête,
N’interrompait jamais l’horreur de la tempête ;
Nul être ne marchait sur le sol rare et nu.
Nul Atlas ne portait le ciel sur son épaule ;
Et déroulant ses plis de l’un à l’autre pôle,
L’océan par ses bords n’était point contenu.
De pesantes vapeurs versaient sur lui leur ombre ;
Et des siècles sans fin, et des âges sans nombre
Passaient, et jusqu’au fond l’abîme s’agitait.
Il sentait s’éveiller sa force créatrice :
Un germe était tombé dans sa chaude matrice,
Et la vie en son sein vaguement palpitait.
L’infiniment petit peuplait le gouffre immense :
Muet, sans yeux pour voir, impalpable semence,
Il rôdait au hasard, allant où va le flot ;
Des continents futurs il posait les assises,
Ébauchant lentement leurs tonnes indécises,
Le sol ferme après l’île, et l’île après l’îlot.Ô sourds commencements de la vie et de l’être !
Un monde tout entier d’un atome va naître ;
L’imperceptible est roi de la Création.
Des races à venir il porte en lui le germe ;
Il est l’anneau premier d’une chaîne sans terme,
Et chaque goutte d’eau roule cet Ixion.
Mais lui-même, quel vent l’a jeté sur la Terre ?
Est-il l’obscur crachat de quelque obscur cratère ?
Est-il un don des deux au monde à son éveil ?
Est-il né de la fange ainsi que l’eau des nues ?
A-t-il pris de l’éther les routes inconnues ?
Est-il un fils lointain d’un plus ancien Soleil ?Je ne sais ! Ma raison chancelle et se récuse ;
J’ai peur qu’un vain désir d’expliquer ne m’abuse ;
Je n’ose me pencher sur le livre de feu.
Nul n’a compris encor cette page suprême :
C’est pour l’esprit de l’homme un trop rude problème ;
Pour en savoir le mot, il faudrait être Dieu.
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