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Extrait

L’Avenir

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1881
Le manuscrit de Flaubert étant inachevé, un brouillon sous forme de plan indique la conclusion prévue pour l’ouvrage. On y lit que Bouvard et Pécuchet ne s’accordent pas sur l’avenir de l’Humanité mais s’entendent sur leur propre avenir : « copier comme autrefois ».

Pécuchet voit l’avenir de l’Humanité en noir :
L’homme moderne est amoindri et devenu une machine.
Anarchie finale du genre humain (Buchner, I.II.)
Impossibilité de la Paix (id.).
Barbarie par l’excès de l’individualisme et le délire de la science.
Trois hypothèses : 1° le radicalisme panthéiste rompra tout lien avec le passé, et un despotisme inhumain s’ensuivra ; 2° si l’absolutisme théiste triomphe, le libéralisme dont l’humanité s’est pénétrée depuis la Réforme succombe, tout est renversé ; 3° si les convulsions qui existent depuis 89 continuent, sans fin entre deux issues, ces oscillations nous emporteront par leurs propres forces. Il n’y aura plus d’idéal, de religion, de moralité.
L’Amérique aura conquis la terre.
Avenir de la littérature.
Pignouflisme universel. Tout ne sera plus qu’une vaste ribote d’ouvriers.
Fin du monde par la cessation du calorique.

Bouvard voit l’avenir de l’Humanité en beau. L’Homme moderne est en progrès.
L’Europe sera régénérée par l’Asie. La loi historique étant que la civilisation aille d’Orient en Occident, — rôle de la Chine, — les deux humanités enfin seront fondues.
Inventions futures : manières de voyager. Ballon. — Bateaux sous-marins avec vitres, par un calme constant, l’agitation de la mer n’étant qu’à la surface. — On verra passer les poissons et les paysages au fond de l’Océan. — Animaux domptés. — Toutes les cultures.
Avenir de la littérature (contre-partie de littérature industrielle). Sciences futures. — Régler la force magnétique.
Paris deviendra un jardin d’hiver ; — espaliers à fruits sur le boulevard. La Seine filtrée et chaude, — abondance de pierres précieuses factices, — prodigalité de la dorure, — éclairage des maisons — on emmagasinera la lumière, car il y a des corps qui ont cette propriété, comme le sucre, la chair de certains mollusques et le phosphore de Bologne. On sera tenu de faire badigeonner les façades des maisons avec la substance phosphorescente, et leur radiation éclairera les rues.
Disparition du mal par la disparition du besoin. La philosophie sera une religion.
Communion de tous les peuples. Fêtes publiques.
On ira dans les astres, — et quand la terre sera usée, l’Humanité déménagera vers les étoiles.
[…]
Ainsi tout leur a craqué dans la main.
Ils n’ont plus aucun intérêt dans la vie.
Bonne idée nourrie en secret par chacun d’eux. Ils se la dissimulent. — De temps à autre, ils sourient quand elle leur vient, — puis, enfin, se la communiquent simultanément :
Copier comme autrefois.
Confection du bureau à double pupitre. — (Ils s’adressent pour cela à un menuisier. Gorju, qui a entendu parler de leur invention, leur propose de le faire. — Rappeler le bahut.)
Achat de livres et d’ustensiles, sandaraque, grattoirs, etc.
Ils s’y mettent.

Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, Paris, Lemerre, 1881, pp. 396-400.
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