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Extrait

La mappemonde d’Hugues de Saint-Victor

Hugues de Saint-Victor, Libellus de formatione arche

L’arche ainsi achevée, on l’inscrit dans un cercle oblong passant par chacune de ses extrémités ; l’espace enclos par cette circonférence, c’est la terre « orbis terrae ». Dans cet espace, on dessine la « mappemonde » de façon que l’avant de l’arche regarde vers l’orient, l’arrière vers l’occident ; disposition admirable car ainsi l’emplacement des lieux et la succession des temps ont le même point d’origine, et la limite de l’espace coïncide avec la fin des temps. Celui des sommets de ce cercle oblong qui à l’avant de l’arche pointe vers l’orient, c’est le Paradis, en quelque sorte le sein d’Abraham, comme on le verra plus loin, quand sera décrite la Figure en Majesté. L’autre sommet, celui qui pointe à l’occident, porte le Jugement dernier ; à droite, les élus ; à gauche, les réprouvés. Sur son côté septentrional est l’Enfer, où seront précipites, avec les apostats, ceux qui ont à subir la damnation.

Autour de ce premier cercle, on en trace ensuite un second un peu plus étendu, qui fait comme une ceinture autour du précédent ; l’espace ainsi délimité, c’est l’air « aer ». On y dispose, selon les quatre parties du monde, les quatre saisons de l’année : à l’orient, le printemps ; au sud, l’été ; à l’occident, l’automne ; à l’aquilon, l’hiver. On peint le printemps comme un petit garçon qui tient une flûte et chante. L’été est un jeune homme en train de regarder des fleurs ; l’automne, figuré dans l’âge mur, approche de ses narines, des fruits dont il respire l’odeur ; l’hiver, en vieillard, mange des fruits. Tous sont représentés à partir des hanches, chacun au milieu des éléments qui lui sont propres.

Au printemps, les plaisirs de l’oreille ; à l’été, ceux de la vue ; à l’automne, ceux de l’odorat ; à l’hiver, ceux du goût... Chacune (des saisons) occupe une des quatre parties de l’année : l’été, le haut ; l’hiver, le bas ; le printemps, la droite ; l’automne, la gauche. Dans chaque partie, parce que chacune a deux propriétés, sont tendues deux cordes, qui, tour à tour rapprochées, produisent une musique octuple, sur quoi se règle l’accord de l’harmonie universelle. Le printemps est humide et chaud ; l’été, chaud et sec ; l’automne, sec et froid ; l’hiver froid et humide.

Dans cette même zone (de l’air), on placera les douze vents, repartis trois par trois, entre les saisons, au-dessous de la région du ciel de l’aether. On les peindra ailés, à partir des épaules, et comme se précipitant de haut en bas, rangé chacun sous l’un des douze mois. Parmi ces douze vents, quatre sont cardinaux, qui ont chacun, de chaque côté, un collatéral. Du milieu de l’orient, souffle Subsolanus, ayant deux acolytes soufflant avec lui, à droite Vulturnus, à gauche Eurus. Du midi, souffle Auster ou Notus, ayant à sa droite Euronotus ou Euroauster ; à sa gauche, Libonotus ou Austro-Africus. Du milieu de l’occident, souffle Zephyrus ou Favonius. Il a, à sa droite, Africus qui est Libs ; à sa gauche, Corus, qui est Argeste. Du milieu du septentrion, souffle Aparctias, ou Septentrion, ayant à sa droite, Circius, qui est aussi Thrasceas, ou encore Thrascias ; à sa gauche, Borée, qui est l’Aquilon. Les vents cardinaux soufflent chacun dans une double trompe, et chacun des autres n’en a qu’une.

Ensuite, on trace encore un autre cercle, enfermant les deux précédents ; l’espace qu’il délimite figure la région du ciel « l’aether ». On y dispose les douze mois, selon l’ordre des saisons, et on place ensuite les douze signes du zodiaque, de façon que chaque signe commence au milieu d’un mois, et chaque mois, au milieu d’un signe. Ces signes se succèdent tous les trente degrés, formant un circuit dont le commencement est au premier degré du Bélier. Tournés en sens contraire, par rapport au monde, ils sont couchés sur le dos, dans la direction du firmament, à l’inverse des mois dresses de bas en haut, si bien qu’ils ont l’air d’être debout ou de marcher sur la circonférence même du cercle des fixes. Les mois apparaissent en dessous d’eux dans l’éther, et l’on peut voir ainsi : tout en haut, les signes du zodiaque ; sous ces signes, les mois ; sous les mois, les vents et sous les vents, les saisons, disposition qui manifeste l’admirable organisation de la nature et ses accomplissements, et le circuit du ciel se trouve ainsi parfaitement réalisé.

La « machine de l’univers » ainsi construite, on place à sa partie supérieure, une Figure en Majesté, dépassant depuis les épaules vers le haut et des pieds vers le bas et comme assise sur un trône. Dans ses deux bras grands ouverts, elle semble embrasser tout ce qui précède. Elle étend trois doigts vers le cercle de la terre, avec les autres repliés vers la paume, elle enferme les cieux. Dans la main droite, elle tient un trône qui descend obliquement à travers la zone de l’air jusqu’au-dessus du sommet inférieur de la terre, là où, nous l’avons dit, on voit ressusciter les élus que des anges attendaient pour les emporter vers le ciel. Aussi, est-il inscrit sur le trône : « Venez les bénis de mon père, entrez en possession du royaume qui vous est préparé depuis la création du monde. » (Math., XXV, 34.)

Dans la main gauche, elle porte un sceptre qu’elle pointe vers le bas jusqu’au lieu où des démons se jettent au-devant des méchants qui ressuscitent pour les emporter avec eux ; aussi, le sceptre porte-t-il cette inscription : « Allez maudits au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. » (Math., XXV, 41.)

Une ligne représentant l’ordre de la création jusqu’à Adam monte depuis l’arche à travers l’angle supérieur du monde jusqu’au plus haut du ciel ; six petites roues y sont alignées dont la plus basse recouvre l’entrée de l’arche. Elles signifient les travaux des six jours de la création. La première qui doit être figurée tout en haut représente ce qu’était le monde à son premier jour, lorsque fut créée la lumière ; la seconde, le moment où le firmament fut posé entre les eaux et les eaux. La troisième, lorsque les eaux furent rassemblées et la terre recouverte de végétation ; la quatrième, quand le soleil, la lune et les étoiles furent créés ; la cinquième, lorsque les poissons furent places dans l’eau, et les oiseaux dans l’air ; la sixième, le moment ou les animaux et l’homme furent créés sur la terre. Tout doit être disposé de façon que, de la parole sortant de la bouche de la figure en majesté, découle l’ordre entier des créatures et que l’arche, dans son étendue, rejoigne le moment de la création et celui de la fin des temps : portant de part et d’autre, contrées, montagnes, fleuves, châteaux et places fortes ; et l’Égypte au sud et Babylone au nord.

On représente ensuite, de chaque côté du trône, deux séraphins dont les ailes déployées voilent, en haut, la tête, en bas, les pieds de la Figure, mais en laissant visible son visage. Sous leurs ailes, dans l’espace entre celles-ci et les épaules de la Figure, on place neuf rangées d’anges, ceux-ci tournés pour la contempler, vers la face de la Figure divine. Elle-même, véritable et suprême unité, occupe le centre et le sommet de l’ensemble ; à ses côtés, les rangs des anges portant diadèmes, deux de part et d’autre pour le premier, trois pour le second, quatre pour le troisième... dix pour le neuvième, sont disposés de façon à manifester que tout s’origine dans l’unité première.

Hugues de Saint-Victor, Libellus de formatione arche, 12e siècle.
Traduction de Danielle Lecoq, d'après P. L. 176, col. 700 à 702 et P. Sicard, Turnhout, 2001 (p. 157-161)
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