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Extrait

Critique de la Symphonie fantastique par François-Joseph Fétis (1784-1871)

 « Concert dramatique de M. Berlioz ». Article paru dans la Revue musicale,

[…] M. Berlioz montre beaucoup de mépris pour les règles et pour ce qu'on nomme la science en musique : je ne lui en ferai point un reproche et je ne lui dirai pas qu'on a dit quelquefois à ceux qui professaient les mêmes opinions, savoir, qu'il est peu raisonnable de mépriser ce qu'on ignore. Il n'aime pas les règles ? Bon Dieu ! je lui en ferai bon marché ; mais à une condition : c'est qu'il fera mieux, ou du moins aussi, bien sans leur secours ; c'est que, n'en étant point préoccupé il trouvera des chants plus suaves, des accents plus passionnés, des harmonies plus neuves et plus piquantes, des rythmes mieux cadencés, des proportions plus grandes et plus belles. A-t-il fait tout cela ? non certes ! Sa phrase de mélodie, si toutefois je puis parler de sa mélodie, sa phrase, dis-je, est mal faite, gauche, manquant de nombre, et pour comble de mal elle se termine presque toujours par une note qui forme un contresens parce qu'elle n'a nul rapport logique avec ce qui précède. Son harmonie est incorrecte ; les accords ne se lient point entre eux où s'agencent mal ; cependant elle est dépourvue de nouveauté : on peut même dire que lorsqu'elle n'est pas monstrueuse elle est commune. Parlerai-je du rythme ? Il offre quelquefois des singularités remarquables, mais c'est parce qu'il manque du nombre ou parce que celui-ci est surabondant. Innover dans le rythme, ce serait trouver de nouvelles combinaisons cadencées ; mais ce n'est pas ce que fait M. Berlioz.
Que fait-il donc, et en quoi diffère-t-il des autres compositeurs ? Le voici. La nature l'a évidemment pourvu d'un instinct des effets de l'instrumentation. Or, ces effets il les conçoit presque toujours comme la réalisation de quelque chose de physique ou de matériel. C'est un orage, le vent qui agite le feuillage, le zéphyr qui caresse les cordes d'une harpe, les pas précipités d'une foule désordonnée, ou quelque chose de semblable. Pour produire ces effets, il a besoin tantôt de six ou huit parties de violon différentes tantôt du plusieurs timbales, de pianos, de harpe, de mélange de voix parmi les instruments, que sais-je ? Et tout cela, il le groupe d'une manière pittoresque et quelquefois fort heureuse, s'il n'usait jusqu'à satiété de l'effet qu'il vient de produire. Appliquée à propos, unie à d'autres qualités, cette faculté serait utile ; mais isolée ou devenue la partie saillante de l'art, elle devient bientôt importune.
M. Berlioz veut être dramatique : le titre de son concert en est la preuve ; mais rien n'est moins dramatique que l'imitation matérielle des choses qui dans la nature sont les plus propres à nous captiver. Le dramatique en musique, c'est l'expression des mouvements passionnés de l'âme, et l'art de les faire naître. Rossini l'a bien compris ; aussi s'est-il gardé de vouloir imiter par son orchestre la tempête au troisième acte d'Otello. Il avait autre chose à faire, et les douleurs de Desdemona lui paraissaient plus importantes à exprimer.
Une idée dominante traverse la symphonie fantastique de M. Berlioz  ; cette idée, l'idée fixe, comme il l'a appelée, c'est l'image de la femme aimée par l'artiste. Jamais occasion plus belle ne se présenta pour trouver quelque chose de gracieux et d'inspiré ! Eh bien ! rien ne se peut imaginer de plus commun, de moins poétique que la phrase par laquelle le compositeur a rendu cette pensée. Que ne l'attendait-il des mois, des années, plutôt que de ra présenter si informe ? Il me semble que pour ce seul fait, M. Berlioz se fait juger. Il n'y a point en lui de véritable inspiration ; il fera peut-être de fort heureuses combinaisons de sonorité, mais ce qu'il fait n'est pas de la musique.
N'oublions pourtant pas sa marche du supplice et sa valse ; il y a quelque chose là-dedans de fort supérieur au reste de sa musique ; bien des défauts encore ! mais enfin ces pensées ont un mérite de nouveauté.
Un programme en prose pompeuse précède chacun des derniers morceaux qui ont été entendus dans le concert de M. Berlioz. Il est dit que Beethoven, nouveau Cortez, a découvert des pays inconnus dans le domaine de la musique, et que cet art attend un Pizarre.
J'ai cru comprendre que l'artiste espère remplir une mission analogue à celle de cet illustre aventurier ; je crois bien, pour me servit d'une vulgaire locution, qu'il ne trouve pas le Pérou.

« Concert dramatique de M. Berlioz ». Article paru dans la Revue musicale, le 15 décembre 1832.
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