L'art du livre carolingien

Bibliothèque nationale de France
La cour céleste et le Christ en majesté
Ce petit cahier est sans doute le début d’un sacramentaire destiné à Charles le Chauve, qui n’a pas été terminé. Le décor exceptionnel permet d’imaginer ce qu’aurait été l’ensemble. Sur cette double page des plus rutilantes, une cour céleste est placée en face du Christ, lui-même entouré de deux séraphins et des deux allégories de l’Océan et de la Terre nourricière. L’auteur de ces illustrations est sans conteste un très grand artiste, qui a su intégrer à sa propre vision l’influence des centres qui marquent la vie artistique depuis le début du 9e siècle, comme Tours ou Reims.
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À l’époque carolingienne, il n’y a pas de rupture radicale entre le domaine laïc et le domaine religieux ; l’ensemble de la vie est largement dominé par une conception chrétienne, et le principe divin est vu comme ayant part à toutes choses. Dans l’enseignement, par exemple, les principales disciplines enseignées, les sept « arts libéraux », sont considérés comme une préparation à la compréhension des mystères de la Foi. De même la littérature antique, donc pré-chrétienne, a partie liée avec la religion : la maîtrise de la langue latine, parfaitement pure, que transmet cette littérature, ainsi que celle de la rhétorique, doit permettre aux clercs de développer à leur tour des discours sur le sacré.
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L'art du livre carolingien
Les manuscrits profanes carolingiens dont nous disposons témoignent pourtant d’une attitude assez différente de celle qui préside aux textes sacrés. En effet, les ouvrages religieux sont l’occasion d’aborder des questions théologiques, et d’entretenir des débats (par exemple, sur la question de la double nature du Christ, humaine et divine) ; c’est pourquoi chaque manuscrit reflète l’évolution de cette réflexion, la décoration des ouvrages changeant en fonction de la conception qu’ils cherchent à transmettre. Dans le domaine du livre profane, en revanche, l’intention principale est de transmettre une matière première qu’on considère comme parfaite, donc sans modification possible. Puisque la somme maximale des connaissances à laquelle l’esprit humain peut parvenir est celle acquise par l’Antiquité, la seule mission du livre est de la diffuser, intacte.
La forme du livre carolingien

Initiale B du Beatus vir
Le livre carolingien se présente sous une forme apparue au 1er siècle de notre ère : le codex. Ce terme désigne un type de livre constitué de cahiers, en nombre variable suivant la longueur du texte à transcrire. Ces cahiers, réunis sous une même reliure, sont eux-mêmes constitués de feuillets encartés les uns dans les autres et cousus ensemble. Les manuscrits carolingiens ont donc la même forme que les livres modernes. Leur format est souvent carré et leur taille moyenne. Tous sont en parchemin. Chaque Psaume de ce manuscrit débute par une lettre ornée ou historiée d’une finesse et d’une inventivité remarquables. Exécutées à la plume et rehaussées d’une gamme de couleurs insolite, ces lettres mêlent ingrédients orientaux et insulaires. L’initiale du Beatus vir ouvrant le volume représente le Psalmiste écrivant les paroles que lui dicte la colombe du Saint Esprit ; en dessous, un ange guide le bienheureux sur les voies du Seigneur.
Bibliothèque d'Amiens Métropole
Bibliothèque d'Amiens Métropole
Comme c'est déjà le cas dans la bibliothèque fondée par l'homme d'État et écrivain romain Cassiodore à Vivarium au 6e siècle, le manuscrit carolingien est un codex : il est composé de cahiers cousus ensemble et protégés par une couvrure. Il a donc la même forme que le livre moderne, même si le nombre des feuillets à l'intérieur des cahiers et leur présentation sont moins réguliers. Leur format est souvent carré et leur taille moyenne, à mi-chemin entre les livres d'aujourd'hui et les grands volumes produits à partir du 12e siècle. Ils sont tous en parchemin : utilisé d'abord pour des petits documents, lettres ou quittances, ce support a remplacé le papyrus à partir du 4e siècle. Cette présentation des textes a constitué une véritable révolution au début de l'ère chrétienne, car à l'inverse du rouleau (volumen), qui impose une lecture continue, le codex permet d'accéder aux chapitres de manière directe.
Une couvrure de peau
Les volumes doivent être reliés : comme Alcuin l'indique dans une lettre envoyée aux évêques en 800, il faut faire coudre ensemble et couvrir les cahiers des manuscrits, afin d'éviter qu'ils ne soient perdus ou dispersés par les lecteurs. Au 9e siècle, l'abbaye de Saint-Riquier a son propre relieur, mais ailleurs ce travail est confié à un moine de l'abbaye ou à des relieurs itinérants, comme le suggère la présence de reliures semblables dans des lieux différents. La plupart de ces reliures sont en cuir. En 774, Charlemagne donne à l'abbaye de Saint-Denis une forêt, et surtout les cerfs et les chevreuils qui y vivent, pour que les moines disposent des peaux nécessaires pour couvrir les livres de leur bibliothèque. En l'an 800, un autre acte accorde pour la même raison des droits de chasse aux moines de l'abbaye de Saint-Bertin.
Quelques reliures courantes ont survécu, qui proviennent des grandes abbayes bénédictines d'Europe occidentale et, pour la France, d'Autun, Saint-Germain d'Auxerre ou Saint-Denis. Leur aspect technique et esthétique permet de déterminer un véritable type carolingien. Les cahiers sont cousus à l'aide de ficelles de chanvre ou de lanières de peau, selon un système qui s'appuie sur l'un des plats de la reliure, d'épaisses planchettes de chêne appelées ais, et ne nécessite donc pas de cousoir, dont l'usage n'apparaît que vers le 11e siècle. Ais et feuillets constituent un bloc compact et massif, couvert d'une peau épaisse, grisâtre et pelucheuse, vraisemblablement de la peau de cerf ou de daim.

Sacramentaire de Corbie
Voici une reliure de peau blanchâtre, dont la technique, comme les magnifiques tranchefiles brodées tricolores, beige, rouge et vert, est typiquement carolingienne. Au plat supérieur, une croix est dessinée au filet dans un cadre rectangulaire, des petits fers en forme de fleurons et des rosettes soulignent le tracé de la croix ou occupent les grands à-plats.
Comme le préconise Alcuin, il faut coudre ensemble et couvrir les cahiers des manuscrits afin d’éviter qu’ils ne soient perdus ou dispersés par les lecteurs. C’est à l’aide de ficelles de chanvre ou de lanières de peau que sont cousus les cahiers, selon un système qui s’appuie sur l’un des plats de la reliure, d’épaisses planchettes de chêne appelées ais. Ais et feuillets constituent un bloc compact et massif, couvert d’une peau épaisse, grisâtre et pelucheuse, vraisemblablement de la peau de cerf ou de daim. Les reliures courantes sont ainsi en cuir, le plus souvent les peaux restent nues.
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Recueil de textes de droit canon
Les reliures de cuir sont parfois ornées de décors estampés au fer, selon un procédé d’origine orientale. Les décors combinent des tracés géométriques simples – losanges, rectangles ou croix – et des petits fers décoratifs gravés avec une certaine finesse. Les motifs rudimentaires de ces outils carrés ou ronds, parfois en forme de palmettes, sont empruntés à différents vocabulaires décoratifs plus anciens : fleurettes et feuillages, animaux fantastiques et nouds d’entrelacs s’inspirent de mosaïques ou de sculptures antiques comme des illustrations des manuscrits insulaires.
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Ces peaux sont le plus souvent restées nues, mais quelques reliures, originaires entre autres de Corbie, Saint-Denis, Saint-Gall ou Fulda, sont ornées de décors estampés à l'aide de fers préalablement chauffés et appliqués sur le cuir humidifié, selon un procédé inventé par des artistes orientaux, coptes puis islamiques. Les décors combinent des tracés géométriques simples, tels que losanges, rectangles ou croix, et des petits fers décoratifs gravés avec une certaine finesse. Les motifs rudimentaires de ces outils carrés ou ronds, parfois en forme de palmettes, sont empruntés à différents vocabulaires décoratifs plus anciens : fleurettes et feuillages, animaux fantastiques et nœuds d'entrelacs s'inspirent de mosaïques ou de sculptures antiques, comme des illustrations des manuscrits insulaires.
Quant aux manuscrits d'apparat, ils se parent de reliures d'orfèvrerie, incrustées de pierreries et de perles, d'ivoires et de cristaux.
La production du livre manuscrit
Le scriptorium
La réalisation d'un manuscrit est le plus souvent localisée au sein d'un scriptorium monastique ou épiscopal où travaillent en équipe scribes et enlumineurs, clercs comme laïcs, sous la houlette d'un chef d'atelier qui distribue, contrôle et parfois corrige le travail effectué. Outre les chefs d'œuvre émanant des ateliers dépendant de la cour, ou les grands scriptoria monastiques spécialisés dans la production de luxe, l'histoire du livre carolingien se manifeste par l'augmentation spectaculaire du nombre de manuscrits « ordinaires » destinés à la transmission des textes et à l'étude, et qui sont ensuite intégrés dans les bibliothèques épiscopales et monastiques. La lecture individuelle ou commune est en effet omniprésente dans la règle de saint Benoît que Pépin le Bref impose au clergé régulier dès le milieu du 8e siècle, et la copie fait partie des tâches quotidiennes des moines. Ces copies sont réalisées et contrôlées dans l'esprit de l'Admonitio generalis, afin que les textes édités soient les meilleurs possibles. Des échanges et des prêts, mais aussi des achats, comme ceux de Regimbertus pour l'abbaye de Reichenau, fournissent les modèles indispensables. En reproduisant la Bible, les textes des Pères de l'Eglise et de l'Antiquité classique, les copistes carolingiens fournissent à leurs contemporains les lectures nécessaires à l'enracinement du christianisme, mais aussi les bases nécessaires à l'enseignement et le matériel indispensable aux intellectuels pour leur propre réflexion.
Les étapes de la réalisation
La réalisation d'un manuscrit représente une œuvre de longue haleine, qui se déroule en plusieurs étapes et fait appel aux compétences diverses de plusieurs artisans et artistes.
La première étape consiste en la copie du texte proprement dit. Souvent, pour aller plus vite, celle-ci est confiée à plusieurs scribes différents, qui se partagent les cahiers de l'exemplaire à transcrire. Certains manuscrits ont conservé des traces de cette répartition du travail : c'est le cas, par exemple, de l'ouvrage De la Trinité de Saint-Hilaire de Poitiers, réalisé à Reims au milieu du 9e siècle. Une main, sans doute celle du chef d'atelier, signale le nom du scribe qui a copié les premiers cahiers (« finit portio Hrannegil » : « ici se termine la partie de Hrannegil »), puis celui du second, « incipit portio Iozsmari »: « ici commence la partie de Lozsmar »). Les scribes sont nombreux au sein de chaque scriptorium : il faut en effet disposer de suffisamment d'exemplaires pour les divers clercs d'une communauté religieuse, ou pour les besoins d'un cénacle de lettrés dans l'entourage d'un prince, qui commande la réalisation des livres. Le scribe, enfin, peut se charger de réaliser une ornementation d'ampleur réduite sur le manuscrit.
Une fois le texte copié, vient le temps de l'enluminure. Défini par un maître d'ouvrage qui peut être soit le commanditaire, soit le chef d'atelier, le programme iconographique est indiqué au peintre qui travaille d'après un modèle, ou exemplum.

Saint Grégoire dictant à ses scribes
Pendant tout le Haut-Moyen Âge et jusqu’au 11e siècle, la copie des manuscrits se fait essentiellement dans les scriptoria des monastères. Du verbe latin scribere, « écrire », le scriptorium désigne l’atelier dans lequel les moines réalisent des copies manuscrites. Les moines copistes travaillent en équipe, encadrés par des chefs d’atelier qui distribuent puis contrôlent et parfois corrigent leur travail afin que les textes édités soient les meilleurs possibles. Des échanges, des prêts entre abbayes ou des achats fournissent les modèles indispensables. Ici le pape Grégoire le Grand dicte à ses scribes : l’un note au stylet sur une tablette de cire, l’autre prépare la réglure du parchemin.
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Il arrive que nous connaissions les noms des différents intervenants : commanditaires, scribes ou, plus rarement, enlumineurs, qui ont participé au travail, grâce à certaines mentions figurant dans les manuscrits eux-mêmes. La dédicace finale de l'évangéliaire de Charlemagne nous apprend ainsi que celui-ci a été réalisé entre 781 et 783 sur l'ordre de Charlemagne et de sa femme Hildegarde par le scribe Godescalc, qualifié d'ultimus famulus(« le dernier des serviteurs »). Une collection de lois, transcrite à Saint-Etienne de Templève au cours du troisième quart du 9e siècle, renferme également un intéressant colophon (il s'agit de la note finale du manuscrit, équivalent de notre « achevé d'imprimer » moderne) : le copiste Autramnus s'y définit comme « indignus advocatus laicus » (« indigne avoué laïc ») ce qui suggère l'existence de copistes laïcs spécialisés dans les lois barbares. Ces différentes indications montrent que la production des manuscrits, à l'époque carolingienne, est bien organisée, et tend de plus en plus à se professionnaliser.
La mobilité des artistes
Dans le schéma habituel de cette organisation, où scribes et enlumineurs travaillent de manière durable dans le même scriptorium, sous la direction du chef d'atelier, la décoration des manuscrits d'apparat occupe une place à part. L'historiographie récente a en effet mis en évidence l'indépendance et la mobilité des artistes enlumineurs. Professionnels et itinérants, ceux-ci travaillent seuls ou avec des assistants, se déplaçant au rythme des commandes passées par les souverains ou par de hauts dignitaires issus de l'aristocratie. Ces artistes maîtrisent souvent plusieurs techniques, telles que la peinture des manuscrits, la sculpture sur ivoire ou l'orfèvrerie, comme le montre notamment l'exemple de Tuotilo, moine à Saint-Gall dans la seconde moitié du 9e siècle, qui cumule les talents de poète, musicien, peintre, ivoirier et orfèvre.
En effet, le nombre des illustrations dans les manuscrits d'apparat est en général peu élevé (par exemple, 36 grandes initiales et 24 tableaux figurés en pleine page pour la Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs de Rome – ce qui a peu à voir avec les centaines de feuillets à compositions multiples d'une bible moralisée parisienne du 13e siècle !). Dans de telles conditions et bien que l'éventualité de collaborations doive quelquefois être admise, un seul artiste pouvait prendre en charge l'ensemble de la décoration, et l'on n'hésitait alors vraisemblablement pas à recourir aux services d'un peintre de renom établi dans un autre lieu.

David et ses musiciens
La faveur des Carolingiens pour les images permet une entrée en force de la figuration dans les manuscrits d’apparat dont les peintures, d’une même facture, laissent à penser qu’elles ont été exécutées par des enlumineurs indépendants. Travaillant seuls ou avec des assistants, ils se déplacent au rythme des commandes passées par les souverains ou par de hauts dignitaires issus de l’aristocratie. Clercs ou laïcs, ces professionnels itinérants s’affirment comme artistes à part entière, maîtrisant souvent plusieurs techniques, telles la peinture des manuscrits, la sculpture sur ivoire ou l’orfèvrerie.
On voit ici une des illustrations habituelles des psautiers : David accompagné de ses musiciens jouant du psaltérion, des cymbales, de la cithare et des cordes.
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Saint Matthieu écrivant
Selon le poème de dédicace inscrit en lettres d’or au début du manuscrit, ce luxueux livre d’Évangiles a été copié par Sigilaus sur l’ordre de l’empereur Lothaire Ier pour l’abbaye Saint-Martin de Tours.
Une large palette de couleurs est employée pour réaliser ce portait de l’évangéliste Matthieu. Les influences rémoises sont particulièrement sensibles dans la mise en scène de ce portrait de l’évangéliste, séparé de son symbole par un fond nuageux suggérant tout à la fois la voûte céleste et une caverne.
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Les nombreux emprunts stylistiques d'une école à l'autre constituent un autre témoignage de cette mobilité des artistes : ainsi, à Tours, l'arrivée du Maître C, un artiste d'origine rémoise ou formé à Reims, permet-elle l'assimilation d'un certain nombre de traits rémois dans la peinture des manuscrits tourangeaux. Les grandes disparités stylistiques que l'on observe dans les œuvres exécutées à l'époque carolingienne s'expliquent ainsi non seulement par la diversité des modèles que les peintres avaient sous les yeux, mais aussi par la personnalité de ces derniers.
L'esthétique du livre carolingien
L'art carolingien est issu de la culture des siècles précédents, née de la rencontre de l'héritage de la Rome chrétienne et des civilisations dites barbares. Les premières enluminures carolingiennes de la seconde moitié du 8e siècle sont ainsi traversées par deux courants d'influence très divergents, l'un issu de l'art irlandais, le second de l'art paléochrétien tel qu'il s'est développé en Italie et dans le bassin méditerranéen. C'est notamment le cas des Évangiles de Gundohinus, datés de 754, dont les illustrations sont exécutées dans un style fruste teinté d'apports méditerranéens. À l'inverse, ceux de Saint-Pierre de Flavigny renvoient à des modèles insulaires. Daté des années 781-783, l'Évangéliaire de Charlemagne conjugue, quant à lui, les deux traditions : ses illustrations aux couleurs vives sur fond pourpré sont empreintes d'une esthétique toute classicisante d'inspiration byzantine, tandis que le décor ornemental reprend un certain nombre de motifs insulaires tels que les entrelacs. Premier livre illustré à la Cour de Charlemagne, ce manuscrit se démarque très nettement de ses prédécesseurs : le retour à une tradition figurative et le recours à de prestigieux modèles du passé annoncent en effet l'une des phases les plus brillantes de l'histoire de l'enluminure à l'époque médiévale.
L'influence de l'Antiquité

Présentation du livre à l’empereur
C’est à Tours, et particulièrement dans cette bible offerte au roi, que les artistes recommencent à illustrer le texte sacré, de façon moderne et originale. La scène de dédicace à l’empereur Charles le Chauve est sans doute la plus ancienne représentation d’un événement de ce genre en Occident. Un poème aide à en comprendre la signification et à en identifier les personnages : Vivien, debout à droite, introduit une procession de onze clercs se développant en arc de cercle aux pieds de l’empereur ; Aregarius, chanoine de Saint-Martin de Tours et peut-être copiste de la Bible, Sigvaldus et Tesmundus viennent de la gauche ; enfin Audradus, l’auteur possible des vers, marche à côté des deux derniers moines, qui portent la Bible enveloppée dans un linge. Accompagné de deux officiers et de deux gardes, Charles est assis sur un trône sous un portique d’or auquel pend un rideau. La main divine le protège du haut du ciel et deux vertus lui tendent une couronne.
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Tables des Canons
Format atlas, minuscule caroline disposée sur deux colonnes, fonds pourprés, poèmes et titres en capitale rustique rouge ou or, encadrements des poèmes, des préfaces et des incipit, canons peints et ornés, petites figures ornant les titres courants et les initiales, tous les éléments de ce manuscrit sont exceptionnels et concourent à la mise en valeur des huit peintures à pleine page. C’est en effet à Tours, et particulièrement dans cette bible offerte au roi, que les artistes recommencent à illustrer le texte sacré, de façon moderne et originale.
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Employé pour caractériser l'exceptionnel essor des lettres et des arts à l'époque carolingienne, le terme de « Renaissance » fait explicitement référence à l'Antiquité classique envers laquelle les souverains carolingiens avaient une grande admiration. Désireux de renouer avec les prestigieux modèles du passé, ceux-ci se sont posés en héritiers des Romains, s'appropriant non seulement certaines de leurs conceptions politiques, mais aussi leurs connaissances, leurs techniques et leur savoir-faire artistique. C'est ainsi que l'on rencontre de nombreux emprunts à l'art classique, aussi bien dans l'architecture que dans les arts somptuaires et le décor des manuscrits, comme nous venons de le voir.
Cependant, cette influence de l'Antiquité païenne doit être nuancée à bien des égards car, si les Carolingiens jouent un rôle fondamental dans la transmission de l'héritage antique, ils n'en privilégient pas moins les modèles de l'époque paléochrétienne qui correspondaient davantage à leur vision chrétienne du monde. De même, la référence à l'Antiquité païenne est parfois utilisée de manière négative pour mieux valoriser la notion d'empire chrétien élaborée par Constantin, dont se réclament les souverains francs. C'est ce que montre, par exemple, la figure mythologique d'Hercule, présentée sur le trône de Charles le Chauve comme un contre-modèle à ne pas suivre, par opposition au roi chrétien David.
Enfin, ce retour à l'antique ne saurait concerner l'ensemble de la production artistique : seules les œuvres issues des ateliers impériaux contiennent des références explicites à des modèles antiques, contrairement à d'autres œuvres provenant de centres moins importants ou plus éloignés qui, pour la plupart, continuent de véhiculer les traditions héritées des siècles précédents. La place de l'Antiquité classique, si elle est indéniable, ne doit cependant pas faire l'objet de généralisations hâtives, et doit être analysée à la lumière du contexte et des conceptions politiques de l'époque, où l'Antiquité n'occupe parfois qu'une place secondaire au regard de l'idéal d'un Empire chrétien.
L’objet-livre : un trésor symbolique
Les manuscrits carolingiens sont de véritables œuvres d'art ; le soin apporté à leur réalisation, à laquelle les meilleurs artisans et artistes participent, se double de l'usage de matières précieuses qui interviennent dans leur fabrication. C'est que le livre sacré est un hommage rendu à Dieu ; il n'est pas seulement un objet d'étude et de réflexion, il est aussi une œuvre qui doit, par sa splendeur, faire honneur à la grandeur divine.
Le luxe des manuscrits liturgiques

Lettres ornées dans un encadrement
Chef-d’œuvre de l’enluminure messine, ce sacramentaire porte en lettres d’or le nom de son destinataire, l’évêque Drogon. Il est illustré de trente-huit initiales historiées d’épisodes de la vie du Christ, de scènes liturgiques et hagiographiques sans équivalent à l’époque. Ici, un luxueux encadrement orné de rinceaux antiques renferme, inscrit en capitales dorées, le mot Clementissime qui suit le Te igitur dans la première prière du Canon de la Messe. Unique dans le manuscrit, cette double page met bien en valeur la partie la plus solennelle du texte, le Canon.
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Au milieu du 9e siècle, le pape Léon IV interdit que des matières non nobles entrent dans la fabrication des calices, dont l'intérieur doit être couvert d'or. Le même hommage est rendu aux textes sacrés : le créateur de l'évangéliaire de Charlemagne, Godescalc, l'exprime dans le premier vers du poème de dédicace (« Aurea purpureis pinguntur grammata scedis… », « Les lettres d'or sont peintes sur des pages pourpres »). De même, dans les manuscrits contenant les lectures de la messe (Évangiles et évangéliaires, lectionnaires et sacramentaires), la qualité parfaite des feuillets entièrement ou en partie pourprés, la savante hiérarchie des différentes écritures d'or et d'argent, la décoration somptueuse, viennent soutenir et amplifier le sens des textes.
La messe publique est toujours solennelle au début du Moyen Âge, et l'aspect extérieur des volumes confirme aux fidèles la nature et l'importance du contenu. Les riches sanctuaires possèdent donc des reliures exceptionnelles, qui sont exposées dans les églises sur des pupitres ou des coussins, et promenées dans les processions. Les reliures des livres liturgiques sont ornées d'éléments d'orfèvrerie, de pierres précieuses et de perles, d'ivoires et de cristaux, et rangées parmi les objets précieux.
Un petit nombre seulement a subsisté. Les Évangiles copiés pour Charlemagne puis donnés par Louis le Pieux à l'abbaye Saint-Médard de Soissons en 827, ont perdu leur reliure originale. À Saint-Gall, l'évangéliaire de l'abbé Hartmut (841-872), relié en or, argent et pierres précieuses, a disparu. Quelques-uns, cependant, ont gardé leur éclat ancien.

Reliure incrustée de plaques d’ivoire sculptées
Chef-d’œuvre de l’enluminure messine, ce sacramentaire porte en lettres d’or le nom de son destinataire, l’évêque Drogon. Illustré de 38 initiales historiées d’épisodes de la vie du Christ, de scènes liturgiques et hagiographiques sans équivalent à l’époque, il a conservé les ivoires sculptés de sa reliure, qui répondent aux sujets peints dans le manuscrit : ici, au plat supérieur, des scènes évangéliques ou liturgiques, ordination du diacre, baptême du Christ, bénédiction des apôtres, consécration des Saintes Huiles, apparition du Christ aux Apôtres le soir de Pâques, consécration de l’église et de l’autel, confirmation des enfants, consécration de l’eau du baptême, baptême.
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Matière très précieuse, fréquemment utilisée dès l'Antiquité, l'ivoire est présent dans les trésors sous forme de coffrets, de mobilier, de statuettes : le trône de Salomon décrit dans la Bible était d'ivoire revêtu d'or fin. Très apprécié au Bas-Empire, ce matériau disparaît pendant près de deux siècles, avant d'être réintroduit en Europe occidentale au début du 9e siècle, dans les centres artistiques les plus importants. Le merveilleux peigne dit de saint Héribert, aujourd'hui conservé à Cologne, en est un bon exemple. L'ivoire réapparaît aussi sur les reliures des manuscrits liturgiques : l'abbé de Saint-Wandrille Ansegise (822-833) commande un lectionnaire et un antiphonaire en parchemin pourpré, qu'il fait couvrir d'ivoire. Pour les plaques insérées dans les plats des reliures, il s'agit de défense d'éléphant, seule assez large pour fournir la surface nécessaire, et une matière première d'excellente qualité arrive dans les ateliers carolingiens par l'Italie.
Mais les deux statuettes de la Vierge et de saint Jean, attribuées à l'École du palais de Charles le Chauve et réutilisées sur le Missel de Saint-Denis, sont en ivoire de morse. L'atelier du palais dispose donc, au milieu du 9e siècle, de matériaux d'origines différentes. Dans les années 870, l'ivoire se raréfie, et les artistes carolingiens se voient obligés de réutiliser des plaques plus anciennes.
Le lien est étroit entre la nature des textes, leur utilisation et les thèmes sculptés dans l'ivoire. Ainsi, sur l'ensemble provenant de la cathédrale de Metz, les deux temps forts de la liturgie chrétienne que sont la naissance et la résurrection du Christ ornent les Évangiles. De même, des scènes représentant les sacrements et les épisodes de la messe épiscopale accompagnent le Sacramentaire de Drogon.
La facture des plaques et des bordures d'orfèvrerie et de pierres précieuses qui les protègent montrent la qualité des sculpteurs sur ivoire et des orfèvres qui travaillent dans les ateliers impériaux ou messins jusqu'à la fin du 9e siècle.
D'or et de pourpre : la couleur dans les manuscrits carolingiens
Images de la Parole divine, les manuscrits bibliques et liturgiques occupent donc une place centrale dans la culture carolingienne. Destinés aux empereurs, aux membres de la famille impériale, aux évêques ou aux abbayes, ils sont considérés comme des objets précieux et, à ce titre, conservés dans les trésors des établissements religieux, dont ils sortent occasionnellement pour être portés en procession dans l'église jusqu'à l'autel. C'est pourquoi ils sont confectionnés avec le plus grand soin et reçoivent un décor particulièrement luxueux, élaboré à partir de matériaux recherchés et hautement symboliques tels que l'or, l'argent ou la pourpre, qui ont pour fonction de glorifier le texte sacré.

Titre de l’évangile de Luc, en capitales sur fond pourpre
Entré à Saint-Denis parmi les dons faits par Charles le Chauve à l’abbaye, ce volume est dû aux artistes du palais impérial. Le décor animalier, les entrelacs et les compositions géométriques sont d’une grande précision ; les feuillets entièrement pourprés du manuscrit, l’écriture en minuscule d’argent utilisée pour le texte, les titres et les rubriques en capitales d’or, lui donnent un aspect très luxueux et le rattachent à un groupe de livres liturgiques rédigés dans cette écriture dite « chrysographique » pratiquée à la cour dès le début du règne de Charlemagne.
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Explicit avec le nom de Théodulfe
Cette bible, en tous points exceptionnelle, a été réalisée sous la direction de l’évêque d’Orléans Théodulfe, qui a participé activement à la révision des textes sacrés ordonnée par Charlemagne. Exclusivement ornemental, alliant luxe et sobriété, le décor se limite au parchemin en partie pourpré, aux titres dorés à lettres enclavées, aux encadrements architecturaux des canons des Évangiles et à des compositions géométriques colorées qui imitent des Bibles espagnoles plus anciennes. Ce parti pris est sans doute dû à Théodulfe, attaché à ses origines wisigothiques, et à ses prises de position aniconiques. Dans un des poèmes signés de son nom qui figurent dans l’ouvrage, l’évêque indique qu’il a fait réaliser le manuscrit pour l’amour de Dieu et que le livre, dont la couverture est ornée de perles, d’or et de pourpre, est encore plus beau à l’intérieur.
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Très prisés pour leur éclat qui reflète la lumière divine, l'or et l'argent sont employés dans les écritures, et dans certains détails du décor qu'il s'agit de mettre en valeur. Ces métaux sont utilisés sous forme liquide, après avoir été broyés en une fine poudre mélangée à un excipient, le plus souvent de la gomme arabique.
Couleur mythique par excellence, la pourpre revêt, quant à elle, une double connotation impériale et chrétienne : elle permet aux souverains de se poser en héritiers des empereurs romains, tout en évoquant la Passion du Christ (le rouge du sang du Christ). C'est pourquoi elle est fréquemment employée dans les manuscrits issus de l'entourage impérial, tels que l'Évangéliaire de Charlemagne et les Évangiles de Saint-Riquier. Dans ces deux exemples, le texte des Évangiles est entièrement transcrit en onciales d'or sur parchemin pourpré, c'est-à-dire trempé dans un bain de pourpre. Dans d'autres manuscrits, la pourpre est utilisée ponctuellement pour rehausser les enluminures, comme dans le Psautier de Charles le Chauve.

Tables des Canons
Ce livre d’Évangiles est écrit en lettres d’or sur parchemin pourpré à la manière des manuscrits réalisés dans l’entourage de Charlemagne avant 800. Les architectures des tables des canons, avec leurs éléments végétaux, grandes palmettes ou enroulements de feuillages dorés soulignés d’un filet rouge orangé, sont particulièrement soignées et complexes.
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Associée à Rome à l'exercice du pouvoir impérial, depuis la décision de Néron d'en faire la couleur officielle exclusivement réservée aux empereurs sous peine de mort, elle demeure le symbole du pouvoir impérial à Byzance. La pourpre était obtenue dans l'Antiquité à partir de mollusques, dont le plus connu est le murex. Elle pouvait revêtir différentes teintes, allant du rouge brun au gris bleu. Cette couleur était particulièrement onéreuse, puisqu'il fallait environ dix mille coquillages pour obtenir un gramme de pigment pur. Devenue introuvable en Occident au Moyen Âge, elle est généralement remplacée par différents substituts, les plus courants étant l'orseille, un extrait obtenu à partir de différents lichens, et le folium ou tournesol, dont les différentes parties étaient mises à macérer jusqu'à obtention d'un rose violacé. Ces substituts sont connus des enlumineurs carolingiens, comme l'atteste notamment leur présence dans deux manuscrits à peintures de cette époque.
Outre l'or, l'argent et la pourpre, les manuscrits sont décorés à l'aide d'une grande variété de teintes claires ou foncées provenant de pigments naturels, d'origine minérale (vermillon, lapis-lazuli, orpiment...), animale (pourpre...), végétale (indigo, orseille...), ou encore de pigments artificiels, produits par réaction chimique (minium, vert de gris, blanc de plomb...). Suivant la nature du colorant, ces pigments sont obtenus à l'aide de procédés plus ou moins complexes, puis broyés sur une pierre très dure. On les mélange ensuite à des liants (jaune ou blanc d'œuf, gomme arabique, colles animales...) pour constituer une matière susceptible d'adhérer à la surface du parchemin.