Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

Le portrait de Charles VII

Ce portrait de Charles VII constitue une harmonieuse synthèse entre tradition et innovation, influences septentrionales et influences italiennes, analyse psychologique d’un individu singulier et représentation d’un type. Ressenti par les peintres comme le type moderne du portrait royal, il deviendra l’incontournable modèle du portrait officiel, et Clouet au siècle suivant s’y référera explicitement.
Portrait de Charles VII, roi de France (1403-1461)
Portrait de Charles VII, roi de France (1403-1461) |

© photo RMN - G. Blot

Entre tradition et innovation

« Je ferai l'éloge des visages peints qui donnent l'impression de sortir des tableaux comme s'ils étaient sculptés. »

(L.B. Alberti, De pictura)

Au compte de la nouveauté, sont à verser les dimensions importantes du tableau et son format presque carré, qui en accentue la monumentalité, mais aussi le cadrage de la figure royale : ni de profil à la manière des peintres italiens (que l’on songe au célèbre portrait de Malatesta réalisé en 1450 par Piero della Francesca), ni en pied comme dans les représentations traditionnelles des souverains, mais coupée à mi-corps, jusqu’à la taille (cadrage qui ne s’appliquait alors qu’aux images de dévotion). Si la présentation frontale en revanche relève d’une tradition héritée de l’Antiquité tardive, qui caractérise les portraits officiels de monarques, elle est ici infléchie à la manière flamande par une légère flexion du buste et une inscription du visage de trois quarts. Cette posture offre l’avantage (Jan Van Eyck l’avait découvert avant Fouquet) de rendre plus saillantes les particularités du visage, d’en marquer davantage les traits et par là d’accentuer l’intensité de l’analyse psychologique. Elle contribue ici au réalisme presque cruel avec lequel s’offre à nous le visage du roi avec ses rides de fatigue, sa bouche aux lèvres molles et lasses, ses petits yeux sans cils à l’expression désenchantée et cet immense nez plongeant. On est loin d’un portrait standard où l’effigie royale se fondrait totalement dans l’inaltérable majesté d’une fonction en y abandonnant toute particularité individuelle ! L’âme inquiète d’un roi à la réputation de méfiance maladive affleure tout entière dans ce visage traité avec un étonnant naturalisme. Pourtant, une impression de majesté, une affirmation de prestige et de puissance se dégagent avec force de l’ensemble du tableau. L’encadrement de la silhouette monumentale entre deux rideaux blancs tirés propre aux images de dévotion n’est sans doute pas pour rien dans cette impression. Elle accentue la sacralité du personnage offert en icône à la contemplation.

Mais surtout l’extraordinaire carrure de la silhouette confère au tableau une monumentale autorité. Par-delà l’évident réalisme psychologique qui caractérise le traitement du visage, ce qui semble organiser l’ensemble de la composition, c’est une forte géométrisation des formes tirant parti de l’horizontalité des épaules et de la disposition triangulaire des lourds plis du pourpoint. L’architecture d’ensemble du tableau repose sur un emboîtement de figures géométriques : dans le losange des rideaux se déploie la masse triangulaire du vêtement barrée par l’horizontale des épaules et dominée par la petite sphère de la tête.

Un portrait politique

« Image inoubliable d'un homme veule et las autant qu'effigie majestueuse d'un souverain. »

(Charles Sterling)

Éblouissante est ici la maîtrise de Fouquet qui consiste à restituer, par la monumentalité du buste, par l’ampleur du vêtement, par l’aspect hiératique de la pose et la religieuse sobriété du décor, l’impression d’une dignité royale, sans que soit évoqué aucun des insignes traditionnels de la royauté : ni sceptre, ni main de justice, ni couronne royale. L’inscription de la bouche dans la section dorée du tableau insiste sur la fonction du roi comme celui qui dans la sphère politique profère la loi et dit le droit, et dans la sphère religieuse assume le Verbe divin, en tant que le roi est l’élu de Dieu.

L’inscription soigneusement calligraphiée (sans doute de la main même de l’artiste) qui surplombe le tableau confirme la dimension politique du portrait. Dans sa monumentalité massive, il vise à imposer l’image d’un roi victorieux, celle d’un souverain qui, au terme d’une guerre interminable, peut s’enorgueillir d’avoir ramené la paix et bouté les Anglais hors du royaume de France.