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Madame Bovary, mœurs de province

Madame Bovary, mœurs de province
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Le mariage d’Emma et de Charles Bovary a lieu dans la ferme du père de la mariée. C’est la première grande scène collective des mœurs de province. Suivront celle des comices agricoles et, à la fin, l’enterrement de madame Bovary.

« Jusqu’au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d’être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s’y endormirent et ronflèrent. Mais, au café, tout se ranima ; alors on entama des chansons, on fit des tours de force, on portait des poids, on passait sous son pouce, on essayait à soulever les charrettes sur ses épaules, on disait des gaudrioles, on embrassait les dames. Le soir, pour partir, les chevaux gorgés d’avoine jusqu’aux naseaux, eurent du mal à entrer dans les brancards ; ils ruaient, se cabraient, les harnais se cassaient, leurs maîtres juraient ou riaient ; et toute la nuit, au clair de la lune, par les routes du pays, il y eut des carrioles emportées qui couraient au grand galop, bondissant dans les saignées, sautant par-dessus les mètres de cailloux, s’accrochant aux talus, avec des femmes qui se penchaient en dehors de la portière pour saisir les guides.
Ceux qui restèrent aux Bertaux passèrent la nuit à boire dans la cuisine. Les enfants s’étaient endormis sous les bancs.
La mariée avait supplié son père qu’on lui épargnât les plaisanteries d’usage. Cependant, un mareyeur de leurs cousins (qui même avait apporté, comme présent de noces, une paire de soles) commençait à souffler de l’eau avec sa bouche par le trou de la serrure, quand le père Rouault arriva juste à temps pour l’en empêcher, et lui expliqua que la position grave de son gendre ne permettait pas de telles inconvenances. Le cousin, toutefois, céda difficilement à ces raisons. En dedans de lui-même, il accusa le père Rouault d’être fier, et il alla se joindre dans un coin à quatre ou cinq autres des invités qui, ayant eu par hasard plusieurs fois de suite à table les bas morceaux des viandes, trouvaient aussi qu’on les avait mal reçus, chuchotaient sur le compte de leur hôte et souhaitaient sa ruine à mots couverts.
Madame Bovary mère n’avait pas desserré les dents de la journée. On ne l’avait consultée ni sur la toilette de la bru, ni sur l’ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son époux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares à Saint-Victor et fuma jusqu’au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mélange inconnu à la compagnie, et qui fut pour lui comme la source d’une considération plus grande encore. »

Gustave Flaubert, Madame Bovary, première partie, chapitre IV, 1857.
Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1881

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1912
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Gustave Flaubert (1821-1880), auteur ; Henri Jourdain, graveur
  • Description technique
    Eau-forte en couleurs
  • Provenance

    BnF, Réserve des livres rares, RES M-Y2-104, 2e partie, page 300

  • Lien permanent
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