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Réponse de la demoiselle à la lettre du capitaine extravagant

Réponse de la demoiselle à la lettre du capitaine extravagant
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Dans une chambre, une jeune femme reçoit une lettre des mains d’un garçon.
Voici le texte de sa réponse : RESPONSE DE LA DAMOISELLE A LA LETTRE / du Capitaine Extrauagant / MONSIEVR, / Il faudroit auoir la boutique de son eloquence aussi bien garnie que celle des harengeres des halles pour vous pouuoir enuoyer des discours de poinct couppé approchans de la delicatesse de ceux, dont vostre lettre est fanfreluchée. Il ne faut point mentir, que vous me faites aussi grand pitié, qu’vn pauure Asne qui ne peut trouuer des chardons pour se guarir de sa fievre, & ie ne sçay ce que ie ne voudrois point faire, pour alleger vostre frenaisie jusques à porter vostre teste chez l’Orlogeur pour racoutrer les ressorts de vostre ceruelle. Car veritablement, il n’y a point d’apparence, qu’vn si fidelle Amant, à qui la nature à fait d’aussi beaux aduantages, qu’au plus noble cheual de carrosse qui soit iamais sorti d’Allemagne, soit si rigoureusement traicté de l’Amour. Et ie ne sçay comment vous n’aimez mieux aller passer le temps à entretenir la Reyne des Pies de vos rares discours, que de seruir vn maistre qui vous fait manger de la souppe si maigre. Ie confesse que vostre fortune vous traitte trop cruellement, & ie ne sçay si ce n’est point qu’ayant les esperances d’vn Alexandre, vos desseins amoureux ne sont pas assez relevez à son gré : car ie ne suis point vn subjet pour l’amour duquel vous deuiez aller abattre la Couronne de dessus la teste du grand Turc, pour me l’apporter, comme vous m’offrez, ny pour qui vous deuiez aller hazarder vostre vie, à faire à coups d’espée contre des moulins à vent. Pour estre digne de tout cela, il faut estre la fille du Roy des Antipodes qui apres avoir recogneu les escadrons de vos merites, vous fasse donner la charge de Mestre de camp d’un regiment de Hanetons au seruice de son Pere. Le Chevalier du Soleil ny celuy de la Lune, n’ont iamais entrepris choses semblables ; c’est pourquoy vous ne sçauez pas recognoistre la valeur des perles & pierreries de vos perfections. Cependant, vous voila dans le desespoir, comme un Chat qui n’a que de la moustarde à son disner. Qu’elle apparence qu’vne valeur qui ne le voudroit pas auoir cedé à toutes les quenoüilles des chambrieres de la Ville, se laisse abbattre de la sorte à la tristesse ? Que diront tous les braues courages, qui ne prennent leur mesure que sur le vostre, vous voyant plaindre & souspirer comme vn Asne qu’on sangle trop fort ; vostre lettre m’a affligé de telle sorte, qu’il m’a fallu, pour me consoler, manger tout à l’heure vne douzaine de petits pastez, autrement i’eusse bien eu de la peine à attendre le disner ; mais sur tout, la resolution que vous auez prise de vous laisser mourir, m’a ietté dans vne douleur si angoisseuse, qu’vn plat de potage qui auoit esté dressé pour six personnes, a porté la peine de mon desespoir. Et quoy, est-ce que le monde n’est pas digne de vous ? Ou si est-ce que pour vous venger de la rigueur que vous dites que i’exerce contre vous, vous me voulez faire passer mes iours à plorer & lamenter jusqu’au dernier souspir de ma vie ? Vous ne pouuez nier que vous ne soyez aussi cruel enuers moy qu’vn marmiton enuers vne pauure fricassée qu’il renuerse dans les cendres. Ne ferez vous pas bien mieux d’aller exercer vôtre valeur à do(n)ner des batailles contre les Coupe-jarrets de l’Hyuer, que d’affliger vne pauure creature, qui vous estime digne d’auoir en mariage la premiere Dame d’honneur de la Reine Gillette ? Me voila desia si changée que si vous me voyez vous auriez bien de la peine à dire, si ie suis celle pour l’amour de laquelle Cupidon vous à mis un chardon sous la queüe. Vous me reco(m)mandez de faire mettre sur vostre tombeau vn Épitaphe, qui témoigne à la posterité la déplorable resolution que vous auez prise de vous noyer dans les flammes de vostre amour. Regardez deuant que de mourir, si vous ne desirez rien autre chose d’vne personne, de laquelle vous pouuez disposer aussi librement, que des Choux & des Porreaux des Iardins du Paradis terrestre.
EPITAPHE. / Vn corps humain que la Nature / Orna de la teste d’un Veau, / Gist dans cette sepulture : / Passant contemple ce tombeau, // Il merite gloire immortelle / Sur tous les Amans qui sont morts : / Car la folie & sa ceruelle / Faisoient d’admirables accords. // Cupidon ayant cette Buze / Rendu frenetique à moitié, / L’eust fait deuenir Harquebuze, / Mais la mort en a eu pitié.

En bas à g., sur le cadre : F. L. D. Ciartres excu Cum Priuilegio Regis.
Eau-forte imprimée sur un placard typographié, au bas duquel on lit : A Paris, Chez François l’Anglois, dit Chartres, ruë sainct Iacques, aux Colonnes d’Hercules, pres le Lion d’Argent. M. DC. XXXX.

Bibliothèque nationale de France  

  • Date
    Vers 1636
  • Lieu
    À Paris, chez François l’Anglois, dit Chartres
  • Auteur(es)
     Abraham Bosse (1604-1676), graveur
  • Description technique
    Eau-forte, 477 x 317 mm 
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la photographie, RESERVE QB-201 (33)-FOL

  • Lien permanent
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