Aux quatre coins du monde connu


















À l’instar des « encyclopédies » du 13e siècle, Le secret de l'histoire naturelle contenant les merveilles et choses mémorables du monde propose une mise en ordre des connaissances selon un classement alphabétique, procédé déjà utilisé par Barthélemy l’Anglais. Rédigée en français entre 1371 et 1428, l’œuvre est une compilation à caractère géographique chargée de divertir autant que de moraliser.
Se succèdent ainsi depuis l’« Affrique » jusqu’à l’« Ululande » cinquante-six chapitres qui traitent de « géographie » et décrivent l’Asie, l’Europe l’Afrique, les « pais », les provinces, les îles... L’auteur anonyme, sans doute un clerc, s’appuie sur les Écritures, recourt à des exempla et cite les auteurs profanes, tel Pline ou Ovide.
Une peinture ouvre chaque chapitre qu’elle résume ou dont elle présente l’une des caractéristiques principales. Enluminé vers 1480 par Robinet Testard, cet exemplaire est le plus récent des quatre manuscrits connus. Davantage préoccupé de transmettre un message que de suggérer une réalité objective, Testard peint des figures sans relief sur un fond plat. Cette démarche s’accorde parfaitement au caractère merveilleux du texte dont l’aspect didactique est mis en valeur par la lisibilité de la composition.
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Afrique
Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, père de François Ier, fut le créateur d’une riche et précieuse bibliothèque. Le principal artiste auquel il fit appel fut Robinet Testard, enlumineur d’origine poitevine, directement attaché au service du comte puis de sa veuve Louise de Savoie. C’est à lui que nous sommes redevables de cet exemplaire des Merveilles du monde ou Livre des secrets de l’histoire naturelle, le plus somptueusement décoré des quatre témoins conservés de l’œuvre.
« Affrique generallement comprise est en la tierce partie de la terre et est située vers la région de midi. »
De la longue légende, l’image n’a retenu que quelques traits principaux :
– Au fond le mont Atlas dont la hauteur est telle qu’elle le rend dit-on inaccessible aux hommes. Seuls Persée et Hercule ont pu le dominer. Il s’étend du côté du midi jusqu’aux “contrées aréneuses doù les sablons sont en continuel mouvement” et jusqu’aux îles “jardins” dont on aperçoit la silhouette se profiler dans le lointain bleuté. Autour de la montagne se dressent bois et forêts touffus où paissent ici les porcs.
– Au second plan, une ville, sans doute “Carthage la grande” qui d’après Solin que cite l’auteur, est après Rome la plus grande, la plus renommée : “comme la fleur et beauté et le parement de tout le monde.”
– Au premier plan, le peuple des Psilles, bien connus d’après l’Histoire naturelle de Pline pour vivre en parfaite symbiose avec les reptiles et les serpents : “celui peuple et leur généracion sont entre les serpens très asseuréz, fermes et constans, et aussi entre les bestes venimeuses, laquelle chose est contre nature humaine.” Est représentée ici la coutume qui veut que lorsqu’un père doute de la légitimité de son enfant, celui-ci est exposé aux serpents, figurés par des dragons considérés comme les plus grands des serpents. “Et si l’enfant est de la propriété et du sang paternel et engendré par celui qui le livre aux serpens, les serpens ne lui font nul mal. Et si l’enfant est engendré d’autre père et il soit mis devant les serpens, tantost il est mengé et dévoré hastivement.”
– En angle droit, deux personnages gaulent un arbre, peut-être une de ces espèces “qui sont semblables à ciprès, qui sont vestu d’une manière de mousse très déliée et menus comme coton ou soie. Et des toisons de ces arbres on fait les chemises et les draps de soye”. Une espèce végétale réputée pousser à proximité de l’Atlas.
Un peu partout des animaux sauvages qui sont réputés hanter les parages de l’Afrique : lions, éléphants, dragons.
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Amazonie
L’Amazonie est située sur les mappemondes à proximité du Tanaïs à l’extrémité septentrionale du monde habité. On l’appelle aussi région de Féminie “pour ce qu’il n’y habite que femmes. Et n’y souffrent point les hommes vivre ni habiter entre elles, sinon en certain temps auquel ilz ont compagnie charnelle des femmes pour avoir lignié tant seulement.” Et parmi les enfants ainsi conçus seules les filles sont élevées, les garçons quant à eux sont chassés ou tués.
L’image dépasse la courte légende. On y aperçoit les deux reines Marsépie et Lampette, l’une chargée de gouverner, l’autre de mener l’armée. Quant à la troupe qui s’avance elle ressemble fort à celle d’Alexandre qui aprés avoir entretenu avec elles un échange épistolaire, décida de les soumettre, selon Barthélemy l’Anglais, non par l’épée “mais par amour”.
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Asie
La brève description de l’Asie rappelle que si elle est bien l’une des trois parties du monde, elle en occupe “par la quantité et la grandeur” la moitié. Elle s’étend depuis l’Orient, au sud jusqu’au Nil, au nord jusqu’au Tanaïs et aux marais Méotides. L’Asie qui “a moult de très grant régions et de puissans royaumes” est figurée comme un espace dévolu au pouvoir où le souverain qui trône sous un palais d’or, gouverne un monde de noblesse et de courtoisie.
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Grande-Bretagne
Plusieurs légendes sont consacrées à la “Grande Bretagne” ou “Angleterre” Le secret de l’histoire naturelle. L’image met en évidence l’aspect insulaire.
Au premier plan la grande île de Bretagne où les hommes s’exercent aux armes devant une vaste cité fortifiée. À l’arrière plan d’autres îles plus petites, à l’habitat plus clairsemé voire inexistant. Des îles moins peuplées, certaines encore sauvages, soumises à la grande comme le rappelle la légende : « elle est environnée tout autour de ysles moult bien habitées et peuplées et qui sont moult fructueuses, lesquelles sont subjectes à ceste noble ysle qui est la principale seignourie. » Des îles qui sont peut-être les Hébrides dont la légende rapporte les coutumes modèles : « Item dit Solin que près de la Grende Bretagne a cinq ysles appellées des ysles des Hébrides dont le peuple de ces ysles fut de merveilleuse discipline et condicion. » Parmi lesquelles : l’absence de toute propriété individuelle, y compris pour le souverain régulièrement élu : « Car premièrement, toutes choses leurs estoient communes et leur roy n’avoit rien qui fust sien propre, mais vivoit sur le commun ne se pouvoit rien aproprier ni applicquer à soy ni à son proufit... Et par ainsi le royaume demeuroit touzjours en la seignorie et au gouvernement du commun peuple, et pouvoit prendre et eslire leur roy entr’euls tel homme comme il leur plaisoit. » Et ce afin de préserver la justice : « Et le faisoint ceste gent afin que leur roy ne fust en fait de justice mené par avarice et aussi afin qu’il ne leur tournast point à préjudice. » Absence également de tout esprit de conquête : « Item leur roy ne pouvoit rien conquester, ni en terre ni en mer, ni en son païs ni ailleurs. » De tout népotisme : « Item, leur roy ne se pouvoit marier ni lignée avoir ni procréer, afin qu’il ne plust à son propre et singulier proufit que il ne fist pour le bien publicque et pour le bien commun, et aussi afin que les enfans ne pussent alléguer ni demander aucun droit ou royaume, tant par droit de succession comme autrement. » Compensé seulement par une jouissance commune des femmes : « Item dit Solin que aussi comme leur roy vivoit et devoit vivre sur le commun lui et son estat, tout aussi pouvoi-il prandre et avoir, pour une fois pour faire son plaisir, chacune femme, fille ou pycelle où il prenoit plaisir. » Îles d’Utopie avant la lettre projetées aux confins de l’Occident.
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Haute Égypte
Si le paysage de la Basse Égypte semblait dépourvu d’humanité, en revanche pour décrire la Haute Égypte l’auteur n’a retenu de la longue légende que deux scènes qui marquent le triomphe de l’humanité sur la bestialité.
Deux scènes séparées, nettement individualisées tant par la couleur des paysages que par le fleuve, sans doute le Nil où se baigne un dragon, qui traverse l’espace en diagonale. D’un côté, par delà le fleuve, le désert, avec au fond un établissement religieux, église et monastère. Peut-être l’abbaye de ces “religieux hermites” que décrit le texte, dont un jeune moine vient puiser l’eau du fleuve “qui estoit a deux mille loin de l’abbaye”, afin, par obéissance, d’arroser une branche sèche plantée par son abbé jusqu’à ce qu’enfin elle reverdisse. C’est dans ce désert que se produit la rencontre de saint Antoine avec un homme sauvage :
Il rencontra un petit homme sauvage tout velu et tout nu qui avoit les narines presque toutes renversées, le front cornu et les piez comme une chèvre, lequel lui fist une moult grant révérence et lui donna par manière d’onneur des dattes que il portait.
Il s’agit d’un Faune, sorte de reliquat de divinités anciennes, dont on aperçoit la troupe, sous forme d’ombres, à l’arrière plan, qui lui indique son chemin et décline son humanité :
Et lors saint Antoine le conjura au nom de Dieu en lui commandant que il lui dist qui il estoit et de quelle condicion. Adonc il lui respondit : “Je suis homme meortel qui demeure et habite en ces désers, et suis un dou troupe des Faunes et Satires et Incubes que la gent paysanne qui est moult aveuglée par diverses erreurs, a accoustumée de adourer par ydolatrie ancienne.
Et de demander humblement au saint de prier pour lui et son peuple :
Item je suis cy envoïé en ambassade par devers toy de par la commune de ceulx de nostre estat et de nostre condicion qui te requièrent que tu veuilles prier pour nous le Dieu qui est commun à touz qui est Dieu des dieux, duquel tu es loyal serviteur, car nous avons eue certaine cognoissance que il est en ce monde venu pour le salut de tous les hommes, et en toutes terres en est déjà la renommée, et en touz lieux a esté ouÿ le son de sa parole”.
Un récit célèbre, rapporté par saint Jérôme dans la Vie de Paul l’ermite, par Sulpice Sévère dans ses Dialogues, destiné à nier l’existence des Faunes, Satyres et autres divinités païennes, et dont on ne saurait douter :
“Cet épisode ne doit susciter ni scrupule ni incrédulité. Il voit sa véracité défendue sous le règne de Constance, avec le témoignage de l’univers entier. Car un homme de cette espèce fut amené à Alexandrie, vivant – grand spectacle pour le peuple ! Et plus tard son cadavre inanimé – et salé pour éviter que la chaleur de l’été le décompose – fut emporté à Antioche afin que l’empereur le vît” (Saint Jérôme)
De l’autre côté du fleuve, au premier plan, se place une autre rencontre du saint avec une être encore plus ambigü, un onocentaure ou hippocentaure :
“Quant saint Antoine chemina et erra parmi les grans desers d’Egypte, il trouva en son chemin un tès hideux monstre ou beste sauvage et qui estoit de terrible façon et sembloit estre moitié homme et moitié cheval, homme devant et beste derrière. Et combien que saint Antoine n’entendist point son langage bestial, toutefoiz ce monstre le conduisi et le adreça à son droit chemin par signes et par contenances, dont il loua et remercia moult Dieu. Et quant il eut longuement esté avec lui, ce monstre le laissa et s’en alla à son repaire on ne sceut où.”
L’attitude dubitative de l’ermite, le tau à la main, traduit peut-être l’interrogation sur la nature des êtres de cette sorte ?
“Était-ce un simulacre diabolique destiné à l’effrayer, ou bien le désert, habituellement fertile en créatures monstrueuses, produit-il aussi cette bête-là ? Nous n’avons là-dessus aucune certitude.” (saint Jérôme)
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Iles éoliennes
Ce sont les neuf ysles qui sont en mer moyenne, c’est la mer qui passe parmi le milieu de la terre depuis Afrique jusques en Grèce. Des îles que l’on nomme aussi Vulcaines en raison du feu « qui est touzjours continuellement et touzjours ardent et ardront comme pareillement le feu est en Sicile et en montaigne de Etna. » Un phénomène représenté ici au premier plan et expliqué au 12e siècle par Honorius Augustodunensis dans l’Imago mundi : Le sol de la Sicile caverneux et tapissé de soufre et de bitume est exposé preque entièrement aux vents et aux feux. À l’intérieur, le souffle et le feu se dispersent un peu partout et il s’exhale souvent de la fumée, des vapeurs ou des flammes, parfois même, quand le vent se lève plus fortement il projette des masses de sables ou de pierre. (I, 44) L’activité de l’Etna souvent décrite par les voyageurs en route vers la Terre sainte : Près de cette ville de Catane, il y a une très haute montagne isolée, appelée le mont Gibel, c’est-à-dire le Beau Mont. Sans interruption, comme une fournaise ardente, il flambe et fume, projettant des pierres brûlées aussi grosses qu’une petite maison. On appelle cette pierre « pierre ponce » et elle sert à polir les parchemins. (Ludolph de Sudheim, Le chemin de la Terre sainte 14e siècle)
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Éthiopie
Ethyopie est une région qui est situee vers la partie de mydi.
Aux marges méridionales du monde l’Éthiopie apparaît ici, comme sur les mappemondes, comme un réservoir de “merveilles” :
“où il y a moult grant multitude de bestes venimeuses comme serpens, basiliques, grans dragons et aspics et si y a des licornes et de toutes autres bestes cruelles a si grande abondance qu’il semble que ce soient fourmis qui sortent d’une fourmilière, tant y en a.”
Un dragon aux ailes rouges, signe récurrent, sur les images, de la sauvagerie et de la monstruosité, au premier comme à l’arrière-plan, ouvre et ferme l’illustration qu’il emprisonne dans sa signification. Avec, lui faisant face, un serpent à tête humaine semblable à ces reptiles qui figurent souvent dans les scènes de la tentation, donnant ainsi à la représentation une aura diabolique encore renforcée par la couleur noire de la tête du monstre.
Á l’arrière une licorne que les Bestiaires appellent aussi rinoceron ou monoceron, “un animal très cruel qui possède au milieu du front une corne de quatre pieds de long, si forte et si pointue qu’elle perce tout ce qu’elle frappe.” (Barthélemy l’Anglais, XVIII, 88). Elle est avec le dragon, l’ennemie de l’éléphant. Celui-ci en effet “a le ventre moue et le dos dur. C’est pourquoi lorsqu’il se bat avec une licorne, il lui tourne toujours le dos.” (Barthélemy l’Anglais, XVIII, 42). L’éléphant qui “possède de grandes oreilles fines et larges, qu’il peut déployer quand il le veut. Il en frappe violemment le dragon quand il se bat avec. Le dragon déteste l’éléphant ; il en boit le sang et il l’attaque quand il vient de boire et qu’il est plein d’eau.” (Id.).
Ainsi ces animaux loin d’être simplement juxtaposés, reflètent de par leur inimitié intrinsèque, bien connue par les Bestiaires, l’état de violence latent qui caractérise ces régions en marge du monde.
Quant aux hommes qui vivent dans ces parages, leur aspect autant que leur comportement expriment la même “sauvagerie”. Au premier plan, une sorte de géant hirsute, ophiophage, ou du moins vivant en commensalité avec les reptiles, peut-être un de ces Psylles évoqué sur l’image de l’Afrique (fol. 1). À l’arrière, de l’autre côté du fleuve, sans doute le Nil où se désaltère un crocodile (fol. 15v°), des hommes sans tête, des Acéphales, dont les yeux, les narines et la bouche sont sur la poitrine, que l’on appelle aussi Blemmiens, Blemnyes, Blènes, dont la nudité et la massue que tient l’un d’entre eux renforce encore l’image de brutalité et de “sauvagerie.”
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Europe
Europe est la tierce partie de la terre habitable et est située devers septentrion, tout à l’opposite de Afrique qui est située devers midi et est subjecte à la misérable ardeur et chaleur du soleil.
L’Europe n’est pas seulement à l’opposé “géographique” de l’Afrique, elle l’est aussi de par les mœurs de ces habitants. Un contraste qui s’explique alors par les théories climatiques. En effet “si pour ce que la grant ardeur et chaleur du soleil continuellement est sur les Africains leur seiche toutes les humeurs et vertus du corps et pour ce ilz ne peuvent croistre ni améliorer et sont petiz, maigres et secs et noirs comme charbon et ont cheveux crépés”, en revanche l’équilibre des saison fait que les habitants de l’Europe “sont plus beaulx et plus fors et plus grans et plus hardiz que ilz ne sont au chaulx pays d’Afrique.” Des qualités qui font au sens propre l’humanité : “humeurs bonnes et naturelles et humaine complexion”.
Ici n’affleure aucune difformité animale ou humaine. La scène se déroule à d’intérieur d’un espace clos, dans un jardin ou une cour, où la nature disparaît, sinon domptée du moins repoussée. Au même titre que la violence est canalisée autour d’un jeu : le jeu d’échec. Jeu de la guerre simulée, chevaleresque, d’où la brutalité est d’autant maitrisée que, à la fin du 15e siècle, la Dame devient toute puissante sur l’échiqier.
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Iles fortunées
Cestes ysles sont situées en la grant mer parfonde où à peine nul marinier n’ose aller
À l’extrême occident du monde, là où se déploie l’Océan infranchissable, les îles Fortunées font figure de paradis toujours désirable. D’une fertilité sans égale, on y trouve abondance de fruits, de troupeaux, ainsi « qu’oyseaulx melodieusement chantant ». Elles sont confondues parfois avec les îles des Bienheureux ou avec l’île Perdue, celle de saint Brandan, de celles que l’on ne rencontre que par « fortune » ou aventure.
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Inde
Première région de l’Asie “Inde est une grande, lée et très large région et moult y a de ysles". Sa caractériqtique première est l’abondance. Bien arrosée “garnie de moult grans fleuves et rivières” dont le Gange qui prend sa source au Paradis terrestre. Elle est couverte d’arbres “qui sont touzjours vers en toutes saisons, qui parent et embellissent moult grandement la terre de ce pais” dont certains sont de “si grant haulteur que nul archer ne pourroit tirer par dessus”. Une végétation entretenue par deux hivers et deux étés qui autorisent “double cueillette de biens deuz fois l’an et font vendanges et moissons deux foiz l’an.”
Outre la végétation on y trouve foison d’animaux de toutes espèces. Des chiens géants, des licornes, des éléphants “les plus fors et vertueux elephans qui soient au monde”. Ils sont susceptibles en effet d’être domestiqués. Il existe, en Inde, pour ce faire, une espèce d’hommes particulière “qui sont presques sauvages et n’ont autre occupacion fors de chacier et vener les elephans.” Ceux-ci une fois attrapés et domptés sont capables de labourer “tirer au collier et à la charrette et à la charrue et à tout faiz porter et soutenir.” L’un de ces éléphants domestiqués est représenté au premier plan transportant sur son dos un sac qui peut contenir soit des épices, “bonne et fine canelle et le fin poyvre et le fin calame bon odorant” que l’Inde produit en abondance, soit des matières ou des pierres précieuses, “l’yvoere, le berille, le crisoprasse, l’escharboucle, le dyamant, les marguerites fines”, tout aussi abondantes et les meilleures du monde. Autant de produits qui sont l’objet d’un important commerce dont témoigne le marchand, reconnaissable à sa bourse, qui suit l’éléphant. La licorne apparaît aussi parmi les animaux merveilleux de l’Inde. Sa corne a effectivement la propriété extraordinaire de purifier l’eau empoisonnée dont l’animal semble se désaltérer.Tandis qu’à l’horizon les villes qui se profilent rappellent que là “sont villes et cités très grandement renommées et moult bien peuplées.”
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Judée
Judee est une province situee en Palestine dont parle Pline et dit que en ceste province fut jadis situee la cité de Jérusalem qui estoit nommée la royne des citez et la plus noble qui feust es parties d’orent et d’Occident ; mais de présent pour ses démérites elle a perdu sa beaulté, sa réputation et son honneur.
Jérusalem la cité déchue non seulement parce que tombée aux mains des infidèles, mais aussi parce que, comme s’en plaint Nompar de Caumont qui entreprend le voyage au début du 15e siècle, “tous ceux qui le peuvent ne le font pas... Beaucoup n’entreprennent pas ce voyage, car il est lointain et trop couteux.” Plutôt que la ville c’est le Golgotha avec ses trois croix, d’où descend un pèlerin, sans doute un moine, qui est mis en évidence. La croix du Christ au centre domine l’image.
Selon une tradition rapportée par Gervais de Tilbury, elle fut taillée dans le bois d’un rameau de l’arbre “dont le fruit provoqua le péché d’Adam”. Rapporté à Jérusalem “il donna un très grand arbre dont on fit la croix du Seigneur, afin que le genre humain trouvât son salut dans la bois même qui avait causé sa perte.”
Au premier plan, un paysage pacifié où paissent les troupeaux, rappelle que la Judée “est une belle et noble région et moult fertile et plantureuse en biens et où il a moult de merveilles.” Des merveilles cachées qu’il convient à chacun de retrouver.
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Le secret de l’histoire naturelle contenant les merveilles et choses mémorables du monde, fol. 42
Macédoine est une province située en Grèce, là où sont de moult haultes montaignes qui sont moult haultes, droictes et aguës, dont parle Solin.
Des montagnes élevées autrefois par des Géants afin d’atteindre le ciel “pour Dieu guerroier et pour le bouter hors de Paradis”, version occidentale du mythe de Babel, et si hautes que mêmes les eaux du Déluge ne purent les submerger. C’est de ces eaux marines qui les recouvrirent jadis en partie que proviennent les coquillages que l’on trouve parfois dans les interstices et les cavités de ces montagnes situées aujourd’hui loin de la mer. L’une des rares mentions de fossiles marins.
Parmi ces montagnes l’une des plus remarquables, qui occupe le centre de l’image, est le mont Athos. Le mont doit sa réputation non pas, comme on pourrait le croire, au monastère qui s’y dresse, mais à ses particularités physiques et historiques. D’une part il est si haut que “en nul temps ni en nulle saison il ne ploit ni ne vente ni ne tombe aucune rosée dessus”, preuve qu’il atteint “le pur air”. D’autre part, “tout au plus hault de ceste montaigne a un autel où anciennement les païens allumoient du feu dessus et là faisoient leurs sacrefices à leurs ydolles et pour ce en nul temps là ne pleuvoit, les cendres qui sont dessus l’autel demeurent touzjours là en leur vigueur et estat.” Des particularités bien connues que l’on trouve rapportées en termes voisins par Jean de Mandeville, qui font du mont Athos un lieu désert, habité autrefois par des géants, les Macrobiens “lesquels vivoient deux foiz plus longuement que ne faisoient autres gens”, aujourd’hui abandonné de tous y compris des oiseaux.
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Ile de Milos
Cette petite île de la « mer qui passe parmy le milieu de la terre » est la plus ronde de toute. Fertile et plantureuse elle est peinte sous les traits d’un « bon » domaine avec son château, sa forêt, ses prés, ses champs labourés et son attelage conduit par deux bœufs. Elle abonde « en touz biens qui sont nécessaires à corps d’hommes. Et si est moult bien peuplée de gens. »
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Ophir
Offir est une région qui est située es parties de Inde.
Ophir est par excellence le pays de l’or, là où se fournissait déjà la flotte de Salomon. Cette richesse le pays, figuré ici comme une île quasi inaccessible, la doit à ses formidables montagnes d’or et à sa « moult grant abondance de peirres précieuses et de toutes autres richesses » toutes jalousement gardées par « cruelles et horribles bestes sauvages... grans serpens et dragons vollans ejectans feu et venin par la guelle et par les narines et lyons, lyepars, tigres et formies cervées ». Au point que nul homme « tant soit-il fort et puissant, soit Sarrasin, soit Crestien » n’ose y demeurer. Il en faut plus néanmoins pour décourager les marchands qui doivent user de ruse et de stratagème. Avisant les fosses et les orifices creusés par ces animaux, ils mettent à profit leur absence pour descendre « hors de leurs vaisseaulx avec picz, pioches, marteaulx et ciseaulx de fer et d’acier. Et tandiz que les uns font le guet pour les bestes sauvages, les autres foillent en la terre et despiècent de grans pièces de ces montagnes d’or. »
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Paradis terrestre
Situé à l’Orient du monde le Paradis terrestre est figuré ici comme un jardin, “le plus plaisant et le plus bel, le plus cler, le plus delectabe car les arbres y sont tousiours vers et tousiours chargies de toutes manieres de fruits tant bons et bien odorans que corps d’ome ne pourroit trouver ne penser meilleur. Item la sont toutes bonnes herbes et toutes fleurs florissans et santans merveilleusement bon en toutes saisons.” Mais un jardin caché derrière un mur fortifié dont on ne sait, écrit Jean de Mandeville, de quoi il est fait... et il n’apparaît ni pierre ni autre chose dont les murs soient faits. “Gardé par des anges munis d’épée il est rendu encore plus inexpugnable par un rempart de feu. Inaccessible aux hommes pêcheurs et aux esprits impurs, il est de surcroît séparé de la terre habitable par “grant espace de mer et de plusieurs grandes et haultes montaignes”. Situé au “plus hault lieu de ce monde” qui s’élève jusqu’au cercle de la Lune, seuls les quatre fleuves qui sourdent de la fontaine et viennent irriguer la terre constituent comme un lien ombilical entre la terre des hommes et le lieu du bonheur perdu. De ces fleuves:
“Le premier est nommé Phison ou Gange, c’est le même, il court à travers l’Inde, ou Evilath, et, dans cette rivière, il y a beaucoup de pierres précieuses et de bois d’aloès et beaucoup de sables d’or. L’autre fleuve est nommé Nil, ou Gyon, il traverse l’Éthiopie puis l’Égypte. L’autre est nommé Tigre, il court par l’Assyrie et par la grande Arménie. L’autre est nommé Euphrate, il court aussi par la Médie, par l’Arménie et par la Perse. Et on dir par-delà que toutes les rivières et les eaux douces du monde prennent leur naissance de cette fontaine de Paradis et que toutes viennent et sortent de cette fontaine.” (Voyage autour de la terre, chap. 33).
Quatre fleuves qui symbolisent les quatre vertus qui arrosent l’âme, comme le Paradis, lui donnant “maint secours contre la convoitise de la char” (Brunetto Latini, II, 53, 4)
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Pygmées
Pour l’auteur du Secret d’histoire naturelle “Pigmee est une province situee en Inde la grant” dont les habitants sont de très petite “estature et corpulance.” De façon générale le terme désigne non une région mais une population. Depuis l’Antiquité les Pygmées sont bien connus. Localisés le plus souvent en Inde ils sont réputés non seulement pour leur petite taille, à peu près celle d’un enfant de quatre ans, “deux empans de long”, selon Jean de Mandeville, mais aussi pour la briéveté de leur vie : “Ils se marient à six mois, engendrent des enfants à deux ans ou trois et ne vivent que six ou sept ans. Qui vit huit ans se tient pour vraiment vieux.” Des caractéristiques qui, toujours selon Jean de Mandeville, tiennent à la terre qu’ils habitent : “Et quand les grands hommes qui sont parmi eux engendrent des enfants, ils sont aussi petits que les Pygmées, car la nature de la terre le veut ainsi.” (Voyage autour de la terre, chap. 22.)
S’ils ne s’adonnent pas à l’agriculture ni à la culture de la vigne qu’ils abandonnent à d’autres, ils sont en revanche “les meilleurs et les plus subtils ouvriers de soie et de coton du monde”. Mais surtout, leur occupation principale consiste à se battre contre les grues. Montés sur des moutons et des béliers ils les affrontent ici à l’aide d’épées, de lances, d’arcs et de flèches, même de gourdins. Car, en dépit de leur petite taille, tout le monde s’accorde à leur reconnaître beaucoup de subtilité et de courage. Ils livrent là un combat sans merci, toujours recommencé.
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Saxe
Saxone est une tres noble province situee entre les Allemaignes.
Parmi les richesses énumérées dans le texte, l’image met en valeur la grande fertilité, l’abondance en “herbes, en fruitz, en grains, en arbres”, qui permet l’élevage du bétail “grand et menu”, bœufs et moutons. Une fertilité due sans doute aux ressources en “fontaines, ruisseaux, rivières, pallus, estangs” qui procurent également “plains de plusieurs manieres de poissons.” Pêche fructueuse à laquelle s’ajoute la chasse aux “bestes sauvages comme cerfs, biches, sangliers, singes et ours”. Mais la richesse principale vient des ressources minières. On y trouve “plusieurs metaulx comme d’or, d’argent, de cuyvre, d’estaint, d’irain et plonc”, auxquels s’ajoutent, dans certaines montagnes, de “fines pierres” comme le “fin ambre et autres riches pierres.”
Des pierres et des métaux dont l’extraction est ici mise en évidence. À l’aide de pelles et de pioches les mineurs creusent des galeries, tandis qu’un âne chargé d’un bât s’apprête au transport. Phase essentiellement manuelle qui exclut toutes les opérations mécaniques, alors en progrès et particulièrement en Allemagne au 15e siècle, nécessaires à la transformation et à l’utilisation des métaux.
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Sérès
Sérès est une petite région située vers les parties de l’Orient qui est si très loing de l’abitacion de gens d’autre nacion ou condicion que nul homme ne peut que a grant poyne et a grant adventure là arriver...
Tandis que le texte énumère les multiples obstacles, neige, déserts “si grans, si terribles et si plains de bestes rapaces, sauvages et venimeuses” qui rendent ce pays inaccessible, l’image se limite à montrer l’insularité, dans une équation où l’eau fait figure de désert. Un isolement renforcé par le rempart montagneux du premier plan qui semble en barrer l’accès autant que les écueils à l’arrière. Au centre de l’île, un rocher surmonté d’un château, gardé par des dragons. Aucune présence humaine alors que traditionnellement le terme de Sères, désigne plutôt un peuple qu’une région. Une population célèbre depuis l’Antiquité car, ainsi que l’explique Brunetto Latini, “de fuelles et d’ecorce d’aubres par force d’euue font une laine dont il font vestimenz.” Des “arbres qui portent de la laine, comme des brebis” qui sont peut-être figurés ici. Une population douce et débonnaire, qui fuit la compagnie des autres hommes, avec lesquels elle pratique des échanges fondés sur le don et le contre don, dont la seule trace demeure le château au milieu de l’île.
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Bibliothèque nationale de France, 2005