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Le théâtre et les machines

Le Soir
Le Soir

Bibliothèque nationale de France

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Au 17e siècle, le théâtre connut une révolution : les machines envahirent les spectacles sous l’influence des fêtes de cour. Les anciens jeux de paume aménagés par les troupes de comédiens furent peu à peu remplacés par de nouveaux édifices destinés à accueillir ces représentations. Grâce aux effets merveilleux qu’elles permettaient, les machines ravissaient le public, invitant les auteurs, tels Corneille ou Molière à les placer au cœur de certaines de leurs pièces.

Le développement des machines : des fêtes au théâtre

Les machines permettant de transformer en quelques instants la scène en forêt ou en port de mer, de faire voler des dieux ou surgir des monstres sur la scène, s’introduisirent peu à peu dans le théâtre. Les mystères, pièces religieuses jouées lors des fêtes solennelles à la fin du Moyen Âge, employaient déjà des machines, notamment pour les apparitions célestes. Cet héritage important se développa et s’adapta aux fêtes profanes ordonnées à la Renaissance au sein des cours italiennes.
Les princes, rivalisant de magnificences, réunirent des artistes, des architectes et des ingénieurs pour concevoir des représentations fastueuses lors de grandes célébrations. Les humanistes au service de ces cours, cherchant à ressusciter les spectacles et les techniques de l’Antiquité, contribuèrent au développement de représentations hybrides mêlant chant, danse, musique et théâtre dans de savantes mises en scène.

Troisième intermède de La Pellegrina, 1589
Troisième intermède de La Pellegrina, 1589 |

Bibliothèque nationale de France

Dès 1490, pour fêter un mariage à la cour de Milan, Léonard de Vinci fut appelé à concevoir des machines pour La Festa del Paradiso, mais ce fut surtout dans la seconde moitié du 16e siècle que ce type de spectacle se développa et que des salles spécifiques commencèrent à être équipées de machines, non plus pour un usage unique.
Bernardo Buontalenti fut ainsi chargé par les Médicis d’aménager un théâtre dans le palais des Offices pour les grandes fêtes, qui servit quelques années plus tard à la représentation de La Pellegrina (1589), dont les intermèdes étaient remplis de machines. Le succès de ces spectacles et l’émulation entre les différentes cours firent passer ces réalisations encore expérimentales à des dispositifs efficaces adoptés un siècle plus tard dans différents pays d’Europe.

Des ingénieurs au service du théâtre

Nicola Sabbattini, Pratica di fabricar scene e machine ne' teatri...
Nicola Sabbattini, Pratica di fabricar scene e machine ne' teatri... |

Bibliothèque nationale de France

La machinerie théâtrale fut élaborée à partir de la Renaissance par des ingénieurs et architectes, essentiellement italiens. Sur le modèle du théâtre Médicis aménagé par Buontalenti, d’autres salles furent construites dans les cités voisines pour lesquelles les ingénieurs apportèrent des améliorations majeures au fil des décennies, comme Giovanni Battista Aleotti au théâtre Farnèse de Parme (1618) ou plus tard Giacomo Torelli au Teatro Novissimo à Venise (1641).
Cette machinerie, mise au point et perfectionnée par plusieurs générations, permettait au milieu de 17e siècle plusieurs effets essentiels au théâtre, principalement : changer de lieu rapidement sans avoir à baisser le rideau, faire apparaître et disparaître sous la scène des décors ou des personnages, faire descendre, élever ou faire voler des personnages ou des objets et enfin simuler les changements provoqués par la lumière et les éléments (passer du jour à la nuit, simuler le tonnerre, les vagues, ou faire cracher du feu à des monstres).
En France, rois et ministres voulurent à leur tour posséder ces techniques, qui, alliées aux arts, permettaient de manifester leur puissance. Fêtes, musique et machines étaient alors intimement liées. Ces spectacles venus d’Italie furent à l’origine de l’opéra français, mais ils furent aussi acclimatés aux exigences françaises en matière de théâtre.

Devises pour les ballets et comédies, divertissement dans la pièce de la saison de l’hyver
Devises pour les ballets et comédies, divertissement dans la pièce de la saison de l’hyver |

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Théâtre et merveilleux en France

Décoration de l’acte II de Mirame
Décoration de l’acte II de Mirame |

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En 1641, Richelieu inaugura le théâtre de son palais par une pièce à machines, Mirame, de Desmarets de Saint-Sorlin. Machinerie et décorations avaient été conçues sur le modèle de celles du Bernin par des décorateurs romains. Ce fut toutefois Giacomo Torelli, surnommé « le grand sorcier », qui apporta en France, à l’invitation de Mazarin, en 1645, les techniques les plus élaborées, équipant le théâtre du Petit-Bourbon et celui du Palais-Royal de machines et de décors.
Pour intégrer ces mises en scène au théâtre français, Pierre Corneille fut chargé d’écrire une tragédie dans laquelle paraissaient les artifices de Torelli. Andromède, représentée en 1650, fut un grand succès, notamment grâce à l’attention portée aux machines dans la pièce qui, comme l’écrivit l’auteur : « y sont si nécessaires que vous n’en sauriez retrancher aucune, que vous ne fassiez tomber tout l’édifice ».

Décoration de l’acte III d’Andromède
Décoration de l’acte III d’Andromède |

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Même si les défenseurs des règles de vraisemblance dans le théâtre critiquèrent l’adoption des machines pour émerveiller le public ignorant, ces ouvrages exceptionnels ordonnés pour la cour furent très admirés. Le soutien de Louis XIV fut aussi capital. Il commanda à Molière pour ses fêtes des pièces mêlées de danse, de musique et de machines (Les plaisirs de l’île enchantée, Les Amants magnifiques). Psyché, co-écrite avec Pierre Corneille et Philippe Quinault, pour être représentée dans l’immense théâtre que Louis XIV s’était fait bâtir dans les Tuileries, surnommée la salle des Machines, fut sans doute l’un des plus impressionnants spectacles du genre par la débauche de machines créées par Carlo Vigarani.

Frontispice d’Amphitrion, de Molière
Frontispice d’Amphitrion, de Molière |

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Ces ouvrages suscitèrent un tel engouement que les pièces à machines se répandirent au même moment dans les théâtres de ville. Très coûteuses par leurs mises en œuvre, elles furent d’abord reprises ou créées par les troupes protégées par le pouvoir. Le théâtre du Marais s’en fit une spécialité, mais Molière qui s’installa avec sa troupe en 1660 dans le théâtre du Palais-Royal bénéficiait des aménagements de Torelli et put dès 1665 donner Le Festin de pierre avec des changements de décors à vue, des vols, des apparitions ou disparitions. En 1668, dans Amphitryon, un char, une machine pour les vols et une nue (machine servant au vol, entourée de nuages) permettaient à Mercure, la Nuit et Jupiter de faire des apparitions éclatantes. Molière adapta ensuite pour son théâtre Psyché, dont l’importance des machines l’obligea à faire effectuer des travaux, avant de créer Le Malade imaginaire, pièce à intermèdes faisant à nouveau jouer la machinerie du théâtre.

Coupes longitudinale et transversale de la salle du Palais-Royal avec projets de transformation
Coupes longitudinale et transversale de la salle du Palais-Royal avec projets de transformation |

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À la fin du 17e siècle, les machines faisaient corps avec le lieu théâtral et devinrent peu à peu la norme dans tout nouvel édifice bâti pour cette destination. Leur usage pour le théâtre semble toutefois perdre en importance par rapport à la recherche de merveilleux qui caractérisait les premières pièces à machines. De plus, la naissance de l’opéra français et le privilège qui fut accordé à Lully, interdisant les autres troupes de donner des représentations comportant plus de 6 chanteurs et 12 instrumentistes, contribua sans doute à réduire le nombre de machines employées au théâtre, les machines étant intimement liées à la musique dès le début.

Jean Berain, dessin préparatoire pour le frontispice du Triomphe de l'Amour de Lully, 1681
Jean Berain, dessin préparatoire pour le frontispice du Triomphe de l'Amour de Lully, 1681 |

© Bibliothèque nationale de France

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition Molière en musiques, présentée à la bibliothèque-musée de l’Opéra du 27 septembre 2022 au 15 janvier 2023.

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