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La Symphonie fantastique

Symphonie fantastique
Symphonie fantastique

Bibliothèque nationale de France

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Exécutée en décembre 1830, année fondatrice dans l’histoire du mouvement romantique, la première symphonie de Berlioz se présente comme le manifeste du romantisme musical. Par la fusion qu’elle opère entre la littérature et la musique, cette œuvre pratique à sa manière le « mélange des genres » prôné par Victor Hugo dans la préface de Cromwell.
 

La première symphonie de Berlioz est exécutée pour la première fois dans la salle du Conservatoire, par cent trente instrumentistes sous la direction d’Habeneck, le 5 décembre 1830. Ce soir-là le public découvre également sa cantate Sardanapale, œuvre « académique » avec laquelle il vient enfin d’obtenir le prix de Rome. D’abord programmé pour le 23 mai 1830 au théâtre des Nouveautés, le concert dut être repoussé après les événements révolutionnaires de Juillet. Cette année, symbolique dans l’histoire du romantisme, marque véritablement l’entrée de Berlioz dans la carrière de musicien.

Un succès extraordinaire

La première

Lettre à son père le docteur Louis Berlioz
Lettre à son père le docteur Louis Berlioz |

© musée Hector-Berlioz

Dans une lettre adressée à son père, Berlioz, encore tout à son succès, rapporte : « Mon concert a eu lieu hier avec un succès extraordinaire. La Symphonie fantastique a été accueillie avec des cris, des trépignements […] Spontini s’est écrié en entendant ma Marche du supplice : « Il n’y a jamais eu qu’un homme capable de faire un pareil morceau, c’est Beethoven ; c’est prodigieux ! » Pixis m’a embrassé, et plus de cinquante autres. C’était une fureur. »

Lettre de Berlioz à son père

Hectoir Berlioz, Lettre à son père le docteur Louis Berlioz.
Mon cher papa,
Je n'ai le temps de vous écrire que six lignes ; mon concert a eu lieu hier avec...
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La critique de Fétis, parue dans la Gazette musicale, tempère quelque peu cet enthousiasme. Lui-même compositeur et théoricien, il fustige les incorrections harmoniques, la lourdeur expressive, le manque d’inspiration de l’œuvre, tout en reconnaissant la valeur de quelques nouveautés dans la « Marche au supplice » et la « Valse ».  Durant toute la décennie, l’œuvre continue de susciter la polémique, et en 1833, un long article de Schumann défend encore le caractère novateur de la symphonie.

Critique de la Symphonie fantastique par François-Joseph Fétis (1784-1871)

 « Concert dramatique de M. Berlioz ». Article paru dans la Revue musicale,
[…] M. Berlioz montre beaucoup de mépris pour les règles et pour ce qu'on nomme la science en...
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Schumann défend la Symphonie fantastique

Robert Schumann (1810-1856), « Symphonie fantastique » (opus 14).
[…] À considérer les cinq parties dans leur ensemble, nous les trouvons conformes à l'ancienne succession...
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Partition et remaniements

Symphonie fantastique en cinq parties
Symphonie fantastique en cinq parties |

Bibliothèque nationale de France

La partition manuscrite de la Symphonie fantastique comprend 290 pages formées d’une dizaine de papiers et de formats différents qui indiquent les moments de composition ou des emprunts à d’autres œuvres : l’essentiel de la symphonie est composé entre février et avril 1830, mais quelques parties proviennent d’œuvres antérieures : la « Marche au supplice » vient des Francs-Juges, d’autres mouvements ont été revus jusqu’en 1832.

Berlioz juge de la Fantastique

Berlioz juge de la Fantastique
Malgré les pressantes sollicitations que j'adressai au ministre de l'Intérieur pour qu'il me dispensé...
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Liszt et la Fantastique

Franz Liszt
Franz Liszt |

© musée Carnavalet

Grande fantaisie symphonique sur les thèmes de Lélio d'Hector Berlioz.
Grande fantaisie symphonique sur les thèmes de Lélio d'Hector Berlioz. |

Bibliothèque nationale de France

L’œuvre n’est pas publiée avant 1845. Mais Liszt en donne une version pour piano, éditée en 1834, par laquelle la Fantastique est rapidement connue à l’étranger.

Peu après la création, en 1834-1835, il compose également sa Grande fantaisie symphonique sur les thèmes de Lélio d’Hector Berlioz. Il s’agit d’une œuvre pour piano et orchestre sur deux thèmes principaux : la « Ballade du pêcheur » et la « Scène de brigands ». Les indications d’orchestration inscrites sur la partition manuscrite rappellent celles qui ponctuent la célèbre transcription au piano par Liszt de la Symphonie fantastique.
Berlioz rend compte de la première exécution, le 9 avril 1835, dans le Journal des débats : « Le premier andante est d’une grande richesse d’effets […] Peut-être aussi y a-t-il abus, dans quelques endroits, de modulations enharmoniques et ces fréquents changements de ton ôtent-ils aux accords un peu de leur force de vibration. »

Un manifeste romantique

Inspirations littéraires

La Symphonie fantastique illustre une des caractéristiques du romantisme musical : l’importance accordée à la littérature. Le programme, que Berlioz rédige pour cette œuvre, stimule son imagination et sert de trame à la partition. Son titre, emprunté à un des Contes fantastiques d’Hoffmann, annonce clairement l’autobiographie : « Épisode de la vie d’un artiste ». Berlioz l’indique lui-même dans ses Mémoires : « Le sujet du drame musical n’est autre, on le sait, que l’histoire de mon amour pour miss Smithson, de mes angoisses, de mes rêves douloureux… » Cette mise en scène, très romantique, de son propre personnage est une constante chez Berlioz qui déclare : « Ma vie est un roman qui m’intéresse beaucoup. »

Au gré de l’histoire d’un jeune artiste, double de Berlioz lui-même, le programme développe une série de thèmes éminemment romantiques. Y sont évoqués successivement le « vague des passions » du René de Chateaubriand, des réminiscences du Mangeur d’opium de Thomas de Quincey, du Dernier jour d’un condamné de Hugo (« Marche au supplice »), de la Nuit de Walpurgis de Goethe ou de la « Ronde du sabbat » de Hugo (« Songe d’une nuit de sabbat »).

« Musique à programme »

Épisode de la vie d'un artiste
Épisode de la vie d'un artiste |

BnF, département de la Musique, coll. Richard Macnutt

Épisode de la vie d'un artiste
Épisode de la vie d'un artiste |

Bibliothèque nationale de France

La Symphonie fantastique est une œuvre « à programme » : elle est introduite par un texte qui raconte les événements exprimés par la musique. Berlioz est l’auteur de ce texte dans lequel il s’inspire, entre autres, de Chateaubriand et raconte l’histoire amoureuse d’un jeune musicien, « affecté de cette maladie morale qu’un écrivain célèbre appelle le vague des passions ».

L’idée d’une « musique à programme » est assez neuve en 1830. Elle apparaît chez Beethoven, notamment dans sa sixième symphonie, la Pastorale, où le compositeur a voulu rendre « plutôt l’expression des sentiments que la peinture de la nature ». Avec Berlioz, le programme « doit être considéré comme le texte parlé d’un opéra, servant à amener des morceaux de musique, dont il motive le caractère et l’expression ». Sur les premiers exemplaires de sa partition publiée en 1844, il fait écrire : « La distribution de ce programme à l’auditoire, dans les concerts où figure cette symphonie, est indispensable à l’intelligence complète du plan de l’ouvrage. »

Le programme de la Symphonie fantastique

Hector Berlioz, Épisode de la vie d'un artiste, Programme
Le compositeur a eu pour but de développer, dans ce qu’elles ont de musical, différentes situations...
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Le récit d’une passion

Les cinq mouvements de l’œuvre suivent le récit de la passion d’un artiste pour « une femme qui réunit tous les charmes de l’être idéal que rêvait son imagination ». Les trois premiers mouvements, « Rêveries, passions », « Un bal » et « Scène aux champs » alternent moments méditatifs ou brillants et décrivent l’évolution du sentiment amoureux.
Mais avec le quatrième mouvement, « Marche au supplice », commence une partie de la symphonie grandement inspirée par le romantisme noir : « ayant acquis la certitude que son amour est méconnu, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné d’horribles visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné, conduit au supplice, et qu’il assiste à sa propre exécution ». Le cauchemar continue dans le dernier mouvement, « Songe d’une nuit de sabbat » : « il se voit au sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce, réunis pour ses funérailles. […] La mélodie aimée reparaît encore, mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité : ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque. »

Une œuvre révolutionnaire

Un « mélologue »

Dans la Symphonie fantastique, Berlioz met en scène sa propre damnation pour se soulager de ses amours malheureux. Après l’échec de ses fiançailles, le musicien éprouve le besoin de composer une suite. D’abord intitulé Le Retour à la vie, le « mélologue », légèrement révisé, est rebaptisé en 1855 Lélio, nom du personnage principal. Par « mélologue », mot qu’il emprunte à Thomas Moore, Berlioz désigne ce que le poète irlandais définissait comme un « mélange de récitation et de musique ».
Le récitatif de l’œuvre est conçu pour répondre au programme de la Fantastique : le héros, dont la symphonie racontait le cauchemar – meurtre, condamnation à mort et damnation –, « revient à la vie » pour l’amour de son art. Comme à son habitude, Berlioz reprend des fragments d’autres œuvres : le « Chœur d’ombres irritées » provient ainsi de sa cantate Cléopâtre. L’œuvre, donnée pour la première fois à la suite de la Symphonie fantastique le 9 décembre 1832, remporte un succès immédiat.

L’ « idée fixe »

La Fantastique répond à la forme classique de la symphonie, revisitée par la présence d'un thème cyclique dans lequel se cristallise « l’être idéal que rêvait son imagination », la femme aimée d’un jeune poète en proie au « vague des passions ». Ce motif musico-littéraire, que Berlioz appelle « idée fixe », parvient à donner une unité « organique » à la symphonie, la structure et lui donne une cohérence d’ensemble.

L’idée fixe se retrouve ainsi dans chacun des cinq mouvements. La douce mélodie que chantent les violons dans le premier mouvement – « Rêveries, passions »– est reprise sur un rythme de valse à trois temps dans le deuxième mouvement, « Un bal ». Amplifiée dans le troisième mouvement, « Scène aux champs », elle apparaît, dramatisée et fugitive, à la fin du quatrième mouvement, la « Marche au supplice » où l’artiste l’entend juste avant de mourir. Enfin au dernier mouvement, « Songe d’une nuit de sabbat », elle ressurgit parodiée en trilles maléfiques, caricature mélodique de l’être aimé réincarné en une sorcière vulgaire et laide.

Une orchestration novatrice

Symphonie fantastique en cinq parties
Symphonie fantastique en cinq parties |

Bibliothèque nationale de France

Plus que par sa tournure mélodique, harmonique, ou par sa forme, c’est par son orchestration que la Symphonie fantastique est révolutionnaire : l’invention de la « couleur instrumentale » y est particulièrement saisissante. Dans la page liminaire du manuscrit figurent de précieuses indications sur l’orchestre souhaité par Berlioz, le soin qu’il apporte à l’instrumentation, mise au service d’une expressivité nouvelle.
L’utilisation de plusieurs harpes dans « Un bal », du cor anglais dialoguant avec un hautbois en coulisse dans la « Scène aux champs », du bois de l’archet pour frapper les cordes dans la « Marche au supplice », ou des cloches dans le « Songe d’une nuit de sabbat » – tous ces procédés révèlent un changement radical dans les techniques d’écriture d’une œuvre symphonique. Par la liberté des moyens instrumentaux qu’elle met en œuvre, l’orchestration de la Fantastique reflète les différents mouvements de l’âme jusqu’à la damnation finale de l’artiste.

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Berlioz, la voix du romantisme » présentée du 17 octobre 2003 au 18 janvier 2004 à la Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec Arte, France Musiques et l'Orchestre de Paris-Mogador.

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