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Le Pentathlon des Muses
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Des artistes sur le podium
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La culture populaire aux frontières du sport
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Le Pentathlon des Muses

© Musée La Piscine (Roubaix), Dist. GrandPalaisRmn / Arnaud Loubry
Cycliste Jacquelin
© Musée La Piscine (Roubaix), Dist. GrandPalaisRmn / Arnaud Loubry
Quand des concours d’art s’ajoutent aux épreuves sportives
Le rétablissement des Jeux olympiques, entériné à Paris en 1894, est autant un projet athlétique qu’une idée esthétique. Certes, les Jeux, ce sont d’abord de jeunes sportifs venus pour rivaliser sur le stade. Mais le baron Pierre de Coubertin a une ambition plus large, mêlant quête de perfection des anciens Grecs, code de l’honneur des chevaliers du Moyen Âge et conception toute britannique du sport comme source d’élévation morale.
Après trois premières éditions (Athènes en 1896, Paris en 1900, Saint-Louis en 1904), Coubertin souhaite renforcer la beauté des Jeux en faisant collaborer sport, arts et lettres. En 1906, le Comité International Olympique (CIO) crée cinq concours d’art : peinture, sculpture, musique, littérature, architecture. Ils font partie du programme au même titre que les épreuves athlétiques. Les artistes doivent y proposer des œuvres inspirées de « l’idée sportive ».
Il s’agit d’unir à nouveau par les liens d’un légitime mariage d’anciens divorcés : le Muscle et l’Esprit
Parce que le sport est à la fois producteur d’art et occasion d’art, les artistes sont invités à se rapprocher des stades. La beauté des corps athlétiques est source d’inspiration pour les créateurs, mais l’inverse est encouragé aussi : les sportifs devraient contempler les productions artistiques pour, comme au temps rêvé de l’Antiquité, s’élever spirituellement.

© Musée national du sport
La difficile installation des concours d’art
Les Jeux de 1908 (à Londres) ne parviennent pas à mettre en place ces concours à temps. En 1912, à Stockholm, il faut toute l’autorité de Coubertin pour que le « Pentathlon des Muses » voie le jour. Les artistes suédois voient en effet d’un mauvais œil ce type d’événement : pourquoi mettre en compétition les artistes ? sur quels critères seront appréciées les œuvres ? Seuls trente-quatre concurrents vont finalement participer. En peinture, ils ne sont même que quatre !
On n’est jamais mieux servi que par soi-même !
Ô Sport, plaisir des Dieux, essence de vie, tu es apparu soudainLire l'extrait
au milieu de la clairière grise...
À Anvers, en 1920, au lendemain de la Première Guerre mondiale, la participation aux concours d’art reste modeste et les œuvres ne rencontrent guère l’adhésion des jurys. Aucune médaille d’or n’est ainsi décernée en architecture et en peinture.
Le succès des concours d’art à Paris en 1924

Le livret de règles des concours artistiques olympiques de 1924
Cette brochure, réalisée par la Commission des arts et des relations extérieures pour le Comité olympique français en 1923, annonce la troisième édition des concours olympiques d'art, qui se dérouleront à Paris l'année suivante.
Publié en français, anglais et espagnol et envoyé aux journaux et revues du monde entier, ce règlement de 30 pages invite les artistes étrangers à participer aux prochains Jeux en tant qu'Olympiens, en exposant leurs œuvres dans le stade olympique de Colombes (Hauts-de-Seine) et en concourant devant près de 150 juges distingués.
Mesurant 21 x 13 cm, sans impression particulière à l'exception d'un dessin d'Apollon sur la couverture et d'une photographie du président français Alexandre Millerand sur la première page, la brochure est légère et discrète dans sa forme, mais lourde et impressionnante dans le contenu de ce qu'elle promet.
CC0 Paris Musées / Musée Bourdelle
CC0 Paris Musées / Musée Bourdelle
Il faut attendre l’Olympiade de 1924 pour qu’une réelle impulsion soit donnée au Pentathlon des Muses. Près de deux cents inscrits sont recensés, en provenance de vingt-quatre pays différents, ce qui représente la plus large participation depuis l’intégration des concours d’art aux Jeux.
Il est vrai que Paris a bien fait les choses. D’abord, ces concours s’insèrent dans un large programme de festivités : grande exposition d’art au théâtre des Champs-Elysées, exposition internationale des sports à Magic-City, salon des Humoristes sportifs... Ensuite, un jury d’exception est mobilisé pour départager les concurrents. Sont ainsi présents Ravel et Stravinsky en musique, Bourdelle et Landowski en sculpture, Dunoyer de Segonzac et Foujita en peinture, Jean Giraudoux et Paul Valéry en littérature.

Exposition Internationale des Sports de la VIIIe Olympiade de Paris 1924 à Magic City

Musée National du Sport
Oui, l’art sportif sera !
L'art sportif est encore dans l'enfance, ou, si vous préférez, dans la difficile période des débuts. Les...Lire l'extrait
En peinture, le titre revient à Jean Jacoby pour trois tableaux dans lesquels s’exprime un réel talent pour représenter le mouvement sportif. C’est la première médaille d’or obtenu par le Luxembourg depuis le rétablissement des Jeux olympiques. Jacoby obtiendra à nouveau l’or en 1928.

Domaine public
En littérature, Henry de Montherlant aurait pu l’emporter si ses Olympiques n’avaient été publiés quelques mois plus tôt, le règlement olympique n’autorisant que des inédits. C’est Géo-Charles, pour la pièce de théâtre Jeux olympiques qui est titré. De son vrai nom Charles Guyot, ce grand amateur de sport, proches des poètes Cocteau et Cendrars, mais aussi des peintres de l’avant-garde parisienne (Foujita, Delaunay, Survage…), a contribué à l’aventure de la célèbre revue d’avant-garde Montparnasse.
Ô foule, sois sportive : Que parfois ton incendie de forêts américaines / s’éteigne au labeur des pompiers aériens / et renaisse au ciel impartial, grand marbre, / sous la forme enflammée d’un applaudissement…
Quand les concours d’art pâtissent de la politisation des Jeux
Si les Jeux d’Amsterdam (1928) et de Los Angeles (1932) connaissent un relatif succès, Berlin marque un tournant. Pour Joseph Goebbels, ministre hitlérien de la Propagande, les Jeux de Berlin doivent être l’occasion en 1936 de renforcer l’image de l’Allemagne nazie. La France l’Espagne, la Grande-Bretagne décident de boycotter les concours d’art. L’Allemagne et ses alliés (Autriche, Italie, Japon) en profitent : le compositeur allemand Werner Egk gagne la médaille en musique. L’Autrichien Rudolf Eisenmenger l’emporte en peinture tout comme l’Italien Farpi Vignoli en sculpture.
Du Pentathlon des Muses aux Olympiades culturelles
Les compétitions d'art qui se déroulent en 1948 à Londres sont les dernières de l'histoire. Plusieurs raisons expliquent leur disparition : fragilité des critères d'appréciation des œuvres, absence des artistes les plus réputés, faible qualité des œuvres... Mais surtout, au lendemain du second conflit mondial, les dirigeants olympiques défendent l'idée d'un amateurisme pur et dur. La présence d'artistes professionnels aux concours d'art contrevient selon eux aux principes fondateurs de l'olympisme. Est notamment critiqué le fait que les professionnels du monde artistique et littéraire peuvent utiliser leurs médailles à des fins commerciales.
Même si les défenseurs de l'idéal esthétique de Coubertin n'abdiquent pas, au prétexte que la distinction entre amateur et professionnel n'est pas pertinente dans le champ artistique, les organisateurs des Jeux d'Helsinki (1952) refusent d'organiser les concours d'art. Leur remplacement par une « exposition d'art » est officiellement voté par le CIO en 1954.
Depuis les Jeux de Barcelone en 1992, conformément à la Règle 39 de la Charte olympique, les villes hôtes doivent concevoir un « programme culturel ». La poursuite de la volonté artistique de Coubertin passe désormais par des manifestations mêlant des disciplines diverses (danse, poésie, photographie, concert, etc.). En 2024, plus de deux mille événements sont proposés en France dans le cadre de l’Olympiade culturelle.
Un bilan mitigé
Le Pentathlon des Muses cher à Coubertin s’est déroulé durant toute la première moitié du 20e siècle. En dépit des critiques, de grands noms n’ont pas hésité à s’engager dans la compétition, comme Jacques-Henri Lartigue et Kees Van Dongen en peinture, Arno Breker, Abel Lafleur en sculpture, André Montherlant et Gabriele d'Annunzio en littérature.
Les femmes présentes et parfois même primées
Les femmes artistes n’hésitent pas à concourir. Pendant longtemps, les arts font d’ailleurs partie des rares épreuves olympiques ouvertes aux femmes. C’est ainsi qu’Henriette Brossin de Polanska obtient pour la France une médaille d’argent en 1920 dans la section peinture. Par la suite, d’autres françaises vont présenter leurs créations : Lucienne Pageot-Rousseau, Adrienne Jouclard, Hélène Dufau… Dans un monde artistique très masculin à cette époque, une femme remporte même un titre, en littérature lyrique : en 1948, l’écrivaine finlandaise Aale Tynni devient la seule femme championne olympique artistique de l’histoire.

Adrienne Jouclard, Football-Rugby au stade Jean Bouin
Professeure de dessin, Adrienne Jouclard (1882-1971) a produit, à travers des dizaines de dessins et peintures, une œuvre remarquable et singulière sur le sport, prêtant une attention particulière à l’anatomie et la chorégraphie du corps en action. Cette ancienne élève de l’École des Beaux-Arts de Paris s’impose dans le milieu artistique par ses scènes de sports. Figure féminine majeure de « l’art sportif », elle peint de fascinantes scènes de duels d’escrime, d’aviron, de joueurs de hockey sur glace, de skieurs de fond, de matchs de rugby et de football ou de courses de chevaux… Son talent s’exprime particulièrement dans la représentation du mouvement et de l’énergie déployée durant les matchs de boxe. En 1932, elle compte parmi les artistes français qui participent aux concours d’art des Jeux Olympiques avec un tableau intitulé Hockey sur glace. Elle y participe de nouveau seize ans plus tard, à Londres en 1948. Pour l’occasion, elle présente ce tableau représentant un match de football-rugby. Ce seront les dernières compétitions d’art.
Adagp, Paris, 2024
Adagp, Paris, 2024
Des œuvres au style très conventionnel
Parmi les œuvres présentées aux différentes Olympiades artistiques, la très grande majorité est figurative. Il est vrai que les mouvements les plus avant-gardistes (cubisme, dadaïsme, surréalisme, expressionnisme, abstraction), pour des raisons formelles ou idéologiques – critique de la société de l’époque, désintérêt pour le sport –, restent éloignés des idéaux olympiques.
Les concours d’art olympiques, au cœur du projet esthétique et pédagogique de Coubertin, sont désormais une page refermée, et presque oubliée, de la grandiose histoire des Jeux. Aux Olympiades culturelles, désormais, de continuer à faire des Jeux des moments tout à la fois sportifs, festifs et culturels.
Provenance
Cet article a été rédigé en 2024.
Lien permanent
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