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Trois rois soucieux de leur image

François Ier, Charles Quint et Henri VIII
Le roi armé et à cheval
Le roi armé et à cheval

© Bibliothèque nationale de France

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Avec l’imprimerie et la gravure, l’image se diffuse de plus en plus largement en Europe. Les grands souverains de la Renaissance commencent donc à se préoccuper de la manière dont ils sont perçus et représentés, et se mettent en scène à la fois dans des œuvres pérennes et dans des moments éphémères. Un véritable marketing royal avant l’heure !

Des monarques soucieux de leur « image »

Au début du 16e siècle, quelques monarques européens commencent à se préoccuper de leur « image », au sens littéral de « portrait » mais aussi au sens plus large de « représentation publique ». Parmi eux, Sigismond Ier le Vieux (Zygmunt Stary) de Pologne (qui régna de 1506 à 1548), Henri VIII d’Angleterre (de 1509 à 1547), François Ier de France (de 1515 à 1547), l’empereur Charles Quint (de 1519 à 1556), Jean III de Portugal (de 1521 à 1557) et Gustave Ier Vasa de Suède (de 1523 à 1560).

Nous nous intéresserons plus particulièrement à trois d’entre eux : Henri VIII, François Ier et Charles Quint, tels qu’ils furent imaginés par eux-mêmes, leurs ministres, leurs artistes et leurs « publics » (nobles et roturiers, sujets et étrangers), en examinant leurs images comme des messages envoyés à travers différents moyens de communication (tableaux, médailles, poèmes, pièces de théâtre, rituels, etc.). Il s’agit ici de situer les représentations de ces trois monarques dans leur contexte culturel, en utilisant les méthodes de l’histoire comparative et de l’ « histoire croisée ». Chacun de ces trois monarques a un parcours différent, mais leurs buts étaient globalement semblables et ceux qui ont façonné leurs images ont puisé dans un réservoir iconographique et conceptuel commun. Leurs ressources étaient très différentes : la population de l’Angleterre était d’environ 3 millions d’habitants, celle de la France de 15 millions et celle de l’Espagne et du Saint-Empire romain germanique de 19 millions (sans compter les possessions espagnoles dans le Nouveau Monde). Néanmoins, en dépit de ces différences, Henri VIII, François Ier et Charles Quint traitaient, à peu de chose près, d’égal à égal. Tous trois appartenaient à la même génération (Henri VIII étant le plus âgé et Charles Quint le plus jeune), et ils furent parfois amis, parfois ennemis, mais toujours rivaux.

Portrait de François Ier
Portrait de François Ier |

© Bibliothèque nationale de France

Henri VIII à la fin de sa vie
Henri VIII à la fin de sa vie |

© Bibliothèque nationale de France

Depuis quelques années, le discours universitaire à la mode évoque la façon de « se vendre » et le « marketing » des monarques du 16e siècle. De fait, on trouve dans leur manière de se présenter aux autres des indices incontestables de ce que les sociologues appellent la « maîtrise du paraître » (impression management). Mais, à cette époque, le public visé par cette communication était généralement restreint et, du reste, les souverains ne se sentaient pas obligés de justifier leurs actions, hormis en temps de crise. Si Henri VIII est celui de nos trois monarques qui s’est le plus préoccupé de son image, c’est du fait de sa rupture avec l’Église catholique. Charles Quint, pour sa part, laissera longtemps aux autres le soin de ses représentations, tandis que François Ier se situe à mi-chemin entre ces deux positions. L’élaboration de l’image royale ne sera cependant, pour aucun des trois, jamais aussi centralisée qu’à l’époque de Louis XIV. Comme celle de leurs prédécesseurs (Henri VII, Louis XII et l’empereur Maximilien), leur image reste une construction collective, résultat d’initiatives plus ou moins indépendantes d’individus très divers : ministres, écrivains, imprimeurs...

Rituels

La postérité retient de ces monarques ce qui a survécu au passage des siècles : palais, portraits, etc. De leur temps, au contraire, c’était grâce aux rituels éphémères, du couronnement aux funérailles, que les souverains faisaient la plus forte impression sur le plus grand nombre de gens. Ces rituels étaient pour une large part calqués sur la tradition. Ainsi, lorsque Henri VIII est couronné en 1509 à l’abbaye de Westminster, il prononce le vœu traditionnel de défendre les droits de l’Église et de juger avec justice et pitié ; il est oint et couronné par l’archevêque de Canterbury, selon le rituel traditionnel. En 1515, à Reims, François Ier prononce un vœu similaire ; il est oint de l’huile de la sainte ampoule et couronné par l’archevêque, avec l’assistance des pairs de France. Quant à Charles Quint, il est couronné deux fois : la première à Aix-la-Chapelle, en 1520 ; la seconde à Bologne, en 1530. En cette dernière occasion, le pape proclame que l’empereur a reçu de Dieu le droit de régner sur le monde.

Le plus spectaculaire des trois rituels funéraires fut celui de François Ier. Une effigie du roi par François Clouet fut exposée sur le grand lit royal au château de Saint-Cloud, et des repas lui furent servis pendant onze jours, jusqu’aux funérailles. L’idée de présenter de la nourriture à une image, si insolite qu’elle puisse paraître aujourd’hui, est liée à la notion des « deux corps » du roi : le corps naturel, mortel, et le corps politique, immortel. Ce rituel faisait le lien entre les deux, d’autant que le successeur du roi n’était pas proclamé avant l’inhumation. Le rituel funéraire d’Henri VIII fut tout aussi traditionnel, sa bière étant exposée au palais de Whitehall puis portée en procession au château de Windsor. Quant à Charles Quint, c’est son abdication, en 1556, et non sa mort, en 1558, qui marqua, d’un coup de théâtre politique, la fin de son règne.

Charles Quint élu empereur
Charles Quint élu empereur |

Bibliothèque nationale de France

François Ier en Hercule gaulois
François Ier en Hercule gaulois |

Bibliothèque nationale de France

D’autres rituels permettaient aux trois souverains de mieux se faire connaître de leur peuple. Les rois de France et d’Angleterre étaient tous deux des rois « thaumaturges », qui touchaient les malades pour appeler sur eux la guérison divine. Charles Quint, pour sa part, lavait rituellement les pieds des pauvres le jeudi saint, reproduisant ainsi chaque année les gestes du Christ sur ses disciples. En 1544, ce rituel eut lieu dans la ville allemande de Spire. Un contemporain relate dans son journal que « l’on avait veillé à ce que ces gens fussent en bonne santé, et leurs pieds avaient même été déjà lavés ».

Les entrées des rois dans les villes (François Ier à Paris et à Lyon en 1515, Charles Quint à Bruges la même année, etc.) étaient également des événements d’une grande magnificence, auxquels participaientde nombreux habitants.

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