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Un interdit de la représentation dans l’islam ?

Le mir’aj du Prophète
Le mir’aj du Prophète

© Bibliothèque nationale de France

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Un lieu commun veut qu’il soit interdit aux musulmans de représenter les hommes, les animaux et à fortiori les personnages saints. Pourtant, le texte coranique est loin d’être aussi affirmatif que la Bible à ce sujet… et les représentations figuratives sont nombreuses dans les arts de l’Islam tout au long de l’histoire. Alors qu’en est-il exactement ?

S’appuyant sur un verset du Coran rejetant les statues des idoles et sur un hadîth accusant les faiseurs d’images de vouloir rivaliser avec Dieu, seul créateur et insuffleur de vie, certains théologiens musulmans ont condamné formellement la représentation des êtres animés. Cet interdit de la figuration, strictement appliqué pour le Coran et les ouvrages de hadîths ou de fiqh, a favorisé l’émergence des arts de la calligraphie et d’une ornementation fondée uniquement sur l’arabesque et la géométrie. Pourtant, des représentations figurées, parmi lesquelles on peut voir Muhammad, sa famille et les prophètes bibliques, ont existé dans d’autres genres littéraires, épopées, chroniques historiques, Qisas al-anbiyyâ’ (Histoires des prophètes), particulièrement dans les mondes iranien, turc et indien.

Entrée de Mahomet à La Mecque et destruction des idoles
Entrée de Mahomet à La Mecque et destruction des idoles |

© Bibliothèque nationale de France

La représentation des personnages bibliques

L’islam, troisième des grandes religions révélées, ne s’inscrit pas en opposition avec le judaïsme et le christianisme mais se présente comme leur achèvement. Des histoires venues de la Bible, en arabe isrâ’iliyyât (légendes juives), se trouvent dans le Coran mais aussi dans l’exégèse, les ouvrages d’histoire universelle et dans un genre littéraire spécifique, les Qesas al-anbiyâ (Histoires des prophètes).

À nouveau, le sacrifice du fils n’a pas lieu
À nouveau, le sacrifice du fils n’a pas lieu |

© Bibliothèque nationale de France

Miracle du bâton métamorphosé
Miracle du bâton métamorphosé |

Bibliothèque nationale de France

Adam honoré par les anges
Adam honoré par les anges |

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Kan’ân refusant d’embarquer
Kan’ân refusant d’embarquer |

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Dans ces traditions, Muhammad se présente comme le continuateur légitime et ultime de vingt-cinq messagers envoyés par Dieu pour répandre le monothéisme auprès de leurs peuples. Les références aux prophètes antérieurs, disséminées dans le Coran et rarement sous forme de récits ordonnés, viennent par leur exemplarité renforcer le message coranique. L’islam en investissant les personnages bibliques n’arabise pas seulement les noms, il met en lumière ou délaisse certains épisodes, en ajoute parfois d’autres. Certaines figures proviennent de l’Ancien Testament – Adam (Âdam) et Ève (Hawwâ), Noé (Nûh), Moïse (Mûsâ), Abraham (Ibrâhîm), Salomon (Sulaymân), Joseph (Yûsuf) ; d’autres du Nouveau Testament – Jésus (’Îsâ), Marie (Maryam), Jean Baptiste (Yahya Ibn Zakariyyâ) ; enfin deux sont spécifiques à l’islam, Sâlih et Hud.

Seul mortel à avoir parlé directement à Dieu, Moïse est mentionné plus qu’un autre dans le Coran car il a délivré la Loi écrite à son peuple et a fait grand nombre de miracles. Abraham, moins cité, occupe néanmoins la place centrale. Ni juif ni chrétien, il est qualifié de hanîf, c’est-à-dire qu’il adhère au monothéisme originel.

Arrivée de Mahomet à La Mecque
Arrivée de Mahomet à La Mecque |

© Bibliothèque nationale de France

Mahomet, David et Salomon
Mahomet, David et Salomon |

Bibliothèque nationale de France

Trouve-t-on les personnages bibliques dans la tradition iconographique musulmane de l’art du livre ? Cette question recouvre celle plus large du statut de l’image, tout particulièrement dans le domaine religieux. Souvent présentée comme un caractère fondamental de l’islam, l’interdiction de représenter des êtres animés a été diversement suivie selon les périodes et les lieux. Un verset coranique, auquel se sont souvent référé les théologiens musulmans, s’élève contre les statues des idoles polythéistes mais ne condamne pas expressément la figuration. Ce sont en fait les hadîths, dits et faits du Prophète, qui ont suscité la jurisprudence en ce domaine. Cette prescription, appliquée strictement dans le décor des corans et des ouvrages de sciences religieuses, a entraîné le développement de la calligraphie et d’une ornementation basée sur la géométrie et l’arabesque. L’absence de la représentation de Dieu reste une constante, néanmoins des peintures de scènes religieuses existent dans d’autres œuvres, essentiellement en milieu persan et turc, jamais dans le monde arabe.

Vierge à l’enfant
Vierge à l’enfant |

Bibliothèque nationale de France

Les scènes représentées

On ne dépeint pas des personnages mais des épisodes de leur vie qui forment un corpus iconographique allant de la Création du monde jusqu’à Muhammad. Les manuscrits consacrés à ce dernier comme le Siyar-i nabi (Vie du Prophète) ou le Zubdat al-tawarikh (Crème des histoires), exécutés à Istanbul, reprennent les mêmes cycles d’illustration. Certains sont spécifiques à l’islam. Les anges se prosternent devant Adam nu qui vient de sortir des ateliers divins. Le jeune Abraham est jeté dans un brasier sur l’ordre du roi païen Nemrod, récit qui n’est pas tiré de la Bible mais du Talmud et de la Michna. D’autres sont plus traditionnels : ainsi la construction de l’arche de Noé ou l’histoire de Jonas (Yûnas) avalé par le poisson. Les personnages familiers au Nouveau Testament sont évoqués dans des traditions proprement musulmanes : Marie, l’Enfant Jésus sur ses genoux, est adossée à un palmier chargé de dattes près duquel elle vient d’accoucher ; la Crucifixion n’est jamais représentée mais seulement Jésus, accroché à une corde.

Jonas avalé par le poisson
Jonas avalé par le poisson |

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Le voile du visage

Un nimbe de flammes d’or autour de la tête distingue les prophètes. Avec la montée de l’orthodoxie, les visages, d’abord découverts, se cachent derrière un voile protecteur puis disparaissent, symbolisés seulement par une gerbe de feu ; dans les manuscrits copiés au Cachemire au 19e siècle, les silhouettes tout entières se fondent en une flamme d’or. Cette hostilité envers la représentation de la figure prophétique se retrouve dans le grattage des visages, mutilés au cours des siècles dans certains manuscrits.

Le Christ et la table miraculeuse
Le Christ et la table miraculeuse |

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